Une fois affectionné à l'argent, faut-il pour s'en procurer renoncer à ses droits ? il présente sa tête au joug, et attend tranquillement son salaire. Si d'ailleurs les princes prennent soin de le fêter, il va même jusqu'à bénir ses tyrans.
Pour faire des Perses de bons esclaves, Cyrus les entretenait dans l'abondance, l'oisiveté, la mollesse ; et ces lâches l'appelaient leur père.
Les empereurs Romains usaient de cette politique ; ils donnaient au peuple des festins, des spectacles ; et alors on entendait la multitude s'épuiser en éloges sur la bonté de ses maîtres 1.
Le gouvernement de Venise à grand soin de maintenir le peuple dans l'abondance, de lui donner de fréquents spectacles, et de le faire vivre dans la débauche en protégeant publiquement les courtisanes. Loin de contrôler les goûts des citadins, il ouvre la porte aux divertissements, aux jeux 2, aux plaisirs, et il les détourne par-là de l'envie de s'occuper des affaires d’État. Il n'y à pas jusqu'aux religieux auxquels il ne permette une vie débordée, et dont il ne favorise les dérèglements 3 ; de manière que tous les libertins vantent la douceur du gouvernement de la seigneurerie.
Enfin, c'est une observation constante, qu'en tout pays les débauches, les femmes entretenues, les valets, les chevaliers d'industrie, les faiseurs de projets, les joueurs, les escrocs, les espions, les chenappants sont pour le prince, ils attendent un sort de la cour, des dilapidateurs publics, des concessionnaires, des dissipateurs, et ils sont toujours prêts à devenir les suppôts du despotisme.
Ainsi cette vie licencieuse, que le peuple appelle sa liberté, est l'une des prin- cipales sources de sa servitude..."
Source : Jean Paul Marat - Les chaînes de l’esclavage