lundi, 05 janvier 2015 23:14

Alain Denault - Ces organisations non gouvernementales que le gouvernement finance

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Alain Deneault (1970) est docteur en philosophie de l'université Paris-VIII1. Il est chargé de cours au département de science politique de l'université de Montréal, où il enseigne la pensée critique.

"...Aussi libre et libéral qu'apparaisse le processus, il reste que les organisations « non gouvernementales » (ONG), très souvent financées par des instances publiques, et ce, considérablement, en fonction d'un mandat et d'objectifs conditionnels, sont tenues (le militer ouvertement pour la « sécurité humaine » et de ne pas faire, donc, de politique autrement. C'est le cas de Partenariat Afrique-Canada (PAC), une ONG qui est chargée de surveiller le trafic de diamants issus de régions en guerre (la « sécurité » hypostatique contre la non moins hypostatique « violence »). PAC est un produit de la gouvernance. Anticipant une campagne pour le boycott des diamants, les sociétés privées qui avaient bien trop à perdre « se sont réunies et, suivant les règles de la gouvernance, ont invité la société civile à discuter pour éviter qu'une fronde publique nuise à leur marché.

Est donc né le « Processus de Kimberley », une entente volontaire entre pays producteurs, exportateurs ou importateurs de diamants, pour certifier les lots en circulation de façon à repérer les diamants qui servent à financer les guerres. Cette certification créant en quelque sorte un diamant équitable a été à la fois applaudie pour son efficacité relative ». Les ONG y ont vu une victoire et décrié pour ses évidentes largesses. Le Processus de Kimberley a pour principale lacune de blanchir les États ou sociétés qui parviennent à contourner cette certification, tout en continuant de marchander des diamants de guerre. Les principaux fournisseurs mondiaux, dont l'incontournable De Beers peuvent désormais se targuer ouvertement de vendre au détail des diamants propres, voire en majorer encore davantage le prix, au demeurant factice.

Un des principaux architectes de cette structure, Jan Smillie de Partenariat Afrique-Canada, l'a lui-même dénigrée : les ONG qui « préconisaient une surveillance périodique, crédible et indépendante de tous les systèmes nationaux de contrôle des diamants bruts, peuvent désormais se targuer ouvertement de vendre au détail des diamants propres, voire en majorer encore davantage le prix, au demeurant factice. » se sont heurtées aux représentants gouvernementaux, qui ont pour leur part préconisé, bravant le ridicule, l'adhésion volontaire des pays visés aux modalités de contrôle et à l'application de ces dernières par leurs propres soins. Le Canada n'accepte même plus, aujourd'hui, de financer correctement ce mécanisme qu'il a instauré.

Partenariat Afrique-Canada est lui-même financé par le gouvernement canadien, bien que l'ACDI lui ait récemment coupé en partie les vivres. Confiné à la question du transport des diamants, il n'est plus question pour lui d'aborder l'enjeu global des pays en guerre ou ridée d'un boycott des diamants en Occident, dont on sait à quel point le cours est forcé. « On ne nous donne pas des fonds pour faire des campagnes anticommerciales », explique Dorothée Gizenga Ngolo de PAC. Considérant ce facteur, le juriste Jean-Paul Mopo Kobanda, en regrettant que le Processus de Kimberley ne soit pas plus cohérent, propose par exemple qu'on astreigne les sociétés diamantaires à traiter sur place leurs pierres afin de générer de l'emploi. Il montre là a contrario combien la culture de la « gouvernance » force la restriction mentale. Puis d'ajouter : « Nous militons pour la sécurité humaine. » L'argument est syllogistique : les diamants font vivre des régions entières d'Afrique, pour nous assurer la sécurité de cette dernière, on ne saurait les boycotter. Le concept de « sécurité humaine », conditionnel au financement des ONG amenées à se prononcer dans des forums thématiques étroits, conduit les gens les plus sincèrement dévoués à la cause des pays du Sud à prendre fait et cause pour les modalités globales d'un système économique que plus personne n'arrive à questionner..."

Source : Alain Deneault - Noir Canada Pillage corruption et criminalité en Afrique (2008)

 

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