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Hypocrisie canadienne, une étude de cas

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Traduction par William

Canada - Jeux Olympiques de Pékin - Congo

31 août 2008 - Par Yves Engler

L'hypocrisie des grands médias pendant les Jeux olympiques aurait été drôle si elle ne produisait pas tant d’ignorance.

Tant de mots écrits ou prononcés sur les violations des droits de l'homme, la synchronisation labiale, la suppression du Tibet, les feux d'artifice enregistrés, la dictature communiste, le terrible nationalisme chinois, et pourtant rien sur le contexte? Ou sur leur impression du Canada?

Est-ce qu’un seul de ces médias a discuté le soutien du Canada pendant des décennies à l'impérialisme britannique en Chine? La Guerre de l'Opium, quelqu’un? La division du pays entre les puissances européennes?

Qu'en est-il du soutien à l'invasion brutale de la Chine par le Japon dans les années 1930, soutenue par les diplomates, missionnaires et entreprises canadiennes? Qu'en est-il des armes et des 60 millions $ qu’Ottawa a envoyé au Kuomintang de Chiang Kai-shek pour soutenir sa lutte contre les forces de Mao après la Seconde Guerre mondiale? Certainement l'un des chroniqueurs canadiens indignés aurait pu trouver moyen de mentionner le refus d'Ottawa de reconnaître le gouvernement communiste chinois pendant 21 ans?

Pendant de nombreuses années, ce refus de reconnaître le nouveau gouvernement a été justifié en invoquant l’ « agression » chinoise dans la guerre de Corée, qui a fait quatre millions de morts. Au cours de cette guerre, le Canada a envoyé 27,000 soldats de l’autre côté du globe, en partie en réponse à la révolution de l'année précédente en Chine. En réalité la Chine n’est intervenue en Corée qu’après que 500,000 troupes ennemies se soient approchées de sa frontière avec la Corée du nord.

De l'amnésie historique concernant les relations Canada-Chine au Tibet et au Soudan, le double standard des médias est flagrant.

Quelqu'un croit-il qu’avant les Jeux Olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver, nous allons voir un barrage médiatique sur la terre en Colombie-Britannique volé des Premières nations? Des entrevues sur tous les réseaux de télévision avec les chefs spirituels des nations Lil'wat, Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh? Faut-il un diplôme d'études supérieures en histoire pour voir les parallèles entre les actions du gouvernement chinois au Tibet et la colonisation européenne du Canada?

Ou, tiens, pourquoi ne pas comparer le rôle du Canada au Congo au rôle de la Chine au Soudan?

Il y a quelques jours le député libéral Irwin Cotler se plaignait à la Gazette de Montréal que: «La Chine est le principal partenaire commercial du Soudan. Elle lui achète du pétrole, et il lui achète des armes qu’il utilise ensuite contre les Darfouris ... cette complicité risque de transformer les Jeux olympiques de Pékin en « Jeux olympiques du génocide.»

Selon les estimations de l'ONU, il y a eu 300,000 morts au Darfour depuis 2003, tandis que l'International Rescue Committee estime qu’il y a eu 5,4 millions de morts au Congo depuis 1998. Dans ce dernier conflit, les entreprises minières, la diplomatie et les militaires canadiens ont tous joué un rôle.

Pourtant, où dans les médias traditionnels avez-vous vu ce qui suit rapporté?

Avec la fin de la guerre froide et l'affaiblissement de l'influence russe, Washington décida qu'il ne permettrait plus aux Français de dominer une grande partie de l'Afrique. Le Rwanda était considéré comme la base d’où étendre un contrôle sur la perle de l'Afrique centrale: les ressources minérales du Congo.

Ottawa, grâce à son nombreux personnel francophone, a contribué à amener le Rwanda anciennement sous influence française dans l'orbite américain. Le gouvernement canadien a aidé le Front patriotique rwandais de Paul Kagame (FPR) à prendre le pouvoir en 1994 après avoir envahi le Rwanda à partir de l'Ouganda en 1990 (Kagame, qui était chef du renseignement pour le parti au pouvoir en Ouganda, a été formé par l'armée américaine à Fort Leavenworth, Kansas ).

Prenant ses ordres de Washington, le général canadien [maintenant sénateur] Roméo Dallaire commandait la force militaire de l'ONU pour le Rwanda. Selon de nombreux témoignages, y compris de son commandant civil sur la mission de l'ONU, Jacques-Roger Boohbooh, Dallaire a aidé le FPR. Dans son livre, Le Patron de Dallaire Parle, Boohbooh affirme que Dallaire a probablement fourni du renseignement militaire au FPR et a fermé les yeux sur son trafic d’armes depuis l'Ouganda.

Dallaire, conclut Boohbooh, a « abandonné son rôle de chef militaire pour jouer un rôle politique: il a violé le principe de neutralité de la MINUAR [Mission des Nations Unies au Rwanda] en devenant un allié objectif de l'une des parties au conflit. »

Dans son propre livre, J’ai serré la main du diable, Dallaire écrit: « Il avait été étonnant de voir Kagame baissant sa garde pendant quelques heures, d'entrevoir la passion animant cet homme extraordinaire. » Ce livre a été publié six ans après l’horreur déclenché au Congo par Kagame.

Dallaire ne soutint pas le FPR par caprice personnel. Au paroxisme du conflit rwandais, les avions militaires canadiens ont continué de voler au Rwanda depuis l'Ouganda, le pays qui parrainait le FPR. Transportaient-ils des armes?

Le livre « Tested Mettle » note: « Un important contingent de la FOI2 [forces spéciales JTF2 canadiennes] a été déployé en Afrique. Pour assurer une « sécurité » accrue à la mission de l'ONU au Rwanda, MacLean et son équipe ont mis en place une « base opérationnelle avancée » en Ouganda. De là, ils lanceraient des patrouilles de renseignement secrètes en profondeur dans le territoire rwandais. »

Après que le FPR soutenu par le Canada eut pris le pouvoir, les militaires canadiens aidèrent à lancer une attaque rebelle dirigée par Joseph Kabila au Zaïre, maintenant le Congo. Au début de 1997, quelques mois après le lancement de son invasion de l'Ouganda et du Rwanda voisin, « Kabila a envoyé un représentant à Toronto pour parler aux sociétés minières d’« opportunités d'investissement. » Selon Dale Grant, rédacteur en chef de « Defense Policy Review », ce voyage « aurait levé plus de 50 millions $ pour soutenir la marche de Kabila sur la capitale Kinshasa. »

Un certain nombre d'entreprises canadiennes signèrent des accords avec Kabila avant sa prise du pouvoir. First Quantum Minerals, avec l'ancien premier ministre Joe Clark comme conseiller spécial sur les affaires africaines, signa trois contrats d'une valeur de près de 1 milliard $. Avec Brian Mulroney et George Bush sur son conseil d'administration, Barrick obtint de Kabila une concession d'or dans le nord-Congo. Heritage Oil obtint également un accord avec Kabila pour une concession dans l'est du pays dont l'armée de Kabila n'avait pas encore le contrôle.

L'armée canadienne a contribué un appui substantiel à l'incursion de Kabila au Congo. Ottawa a organisé une force de courte durée des Nations Unies dans l'est du Zaïre malgré ce pays mais bien  accueilli par l'Ouganda, le Rwanda et les rebelles de Kabila. Au grand dam du gouvernement du Zaïre, le général Maurice Baril, le commandant canadien de la force multinationale, a rencontré Laurent Désiré Kabila dans l'est du Zaïre durant le conflit.

Le livre Nous sommes invincibles fournit un témoignage poignant d'une opération JTF2 pour amener Baril à une rencontre avec Kabila. Leur convoi sous attaque par les Congolais a été sauvé par une contre-attaque d’hélicoptères américains Apache et Blackhawk. Une trentaine de Congolais périrent sous le feu combiné des d'hélicoptère et détachement de la FOI2.

Après avoir pris le contrôle du Congo à la mi-1997 Kabila demanda à ses alliés rwandais quittent le pays. Le Rwanda répondit par une invasion à grande échelle, déclenchant une guerre impliquant huit pays. À ce jour, le Canada fournit de l’aide et un soutien diplomatique au FPR malgré les millions de victimes tuées au Congo et un terrible bilan domestique des droits de l'homme. Des alliés du FPR continuent de se battre au Congo.

Les entreprises canadiennes continuent également à alimenter les combats, de façon à se réserver d'immenses ressources naturelles du Congo. Il y a plus d'une douzaine de sociétés minières canadiennes actives au Congo aujourd'hui. En 2004, Anvil Mining a été accusée d'avoir fourni un soutien logistique aux troupes qui ont massacré entre 70 et 100 personnes.

Dix entreprises canadiennes ont été nommées dans un rapport de l'ONU » publié en 2002 intitulé « Rapport sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse au Congo. Ottawa a répondu au rapport en défendant les entreprises canadiennes citées pour complicité dans les violations des droits humains au Congo.

Exigeons du Canada le même barème que nous nous sommes fixés pour la Chine.

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Yves Engler termine actuellement un livre sur la politique étrangère canadienne provisoirement intitulé « Uncle Sam’s Nephew: Tales of Canadian Imperialism. Il est l'auteur de deux livres: « Canada in Haïti: Waging War on the Poor Majority » (avec Anthony Fenton) et « Playing Left Wing: From Rink Rat to Student Radical. »

 

Source : propagandhi.com

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