dimanche, 30 octobre 2016 15:12

Les soldats de fortune

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Traduction par William

Dans la réalité anarchique d' une grande partie du monde de l'après-guerre froide, la sécurité privée est une entreprise en plein essor. Et le Canada, jadis reconnu pour sa contribution au maintien de la paix, est en train de devenir une source de mercenaires, de soldats de fortune. Des Canadiens occuperaient la plupart des postes-clés de l’industrie de la sécurité privée dans le monde

 Par David Pugliese , canada.com, 12 novembre 2005

MAGPET, Philippines - Peu après 18 heures, le 26 Juillet, 50 guérilleros de la Nouvelle Armée du Peuple sont arrivés en ville, ont mis en place des barrages routiers et encerclé le poste de police. Après avoir maitrisé huit policiers les rebelles communistes s'emparèrent de quelques dizaines de fusils d’assaut. Cet incident démontra clairement qui avait le contrôle de cette région montagneuse de l'île troublée et dangereuse de Mindanao.

Le lendemain, le maire de Magpet était au téléphone avec « le Canadien ». Les instructions du maire Efren au vétéran étaient simples: créer, former et entraîner une force de frappe privée pour chasser et tuer les rebelles communistes.

Plusieurs mois plus tard, M. Pinol était toujours en colère. Ce qui le bouleversait le plus était l'inefficacité de l'armée philippine. Après avoir appris que les rebelles s’étaient arrêtée après l'attaque pour se reposer dans un village voisin, le maire a fait appel aux commandants militaires locaux afin qu'ils lancent une attaque.

On lui a répondu que les troupes ne pouvaient pas quitter leurs casernes sans l'approbation des officiers supérieurs. Entretemps, les guérilleros purent regagner leur repaire de la jungle.

« J’en ai assez de cette connerie », a déclaré M. Pinol, pour expliquer pourquoi il se retournait vers un mercenaire pour protéger sa ville de 40,000 habitants. « Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. »

Tandis que M. Pinol étudiait une carte, le soldat canadien, William, révisait ses plans pour une force de douze à quinze soldats, composée des gardes du corps de la mairie et de vétérans de l’armée. Ils seraient équipés de M-16 avec lances-grenades, facilement disponibles localement.

La configuration serait similaire aux équipes que l’homme de 38 ans avait formées et dirigées pour Grayworks Security, une société militaire privée aux Philippines. Ces troupes avaient été utilisées pour des missions de recherche et destruction contre des guérilleros qui avaient  attaqué des plantations de bananes appartenant à des sociétés américaines.

« La clé est de trouver et anéantir leurs camps », déclarait le Canadien, qui a demandé que son nom complet ne soit pas publié pour des raisons de sécurité. « Vous devez aller à eux au lieu d'attendre qu’ils fassent leur coup. »

William est plus que qualifié pour le combat. L'armée canadienne lui a donné la meilleure formation possible dans les zones de guerre du Kosovo et de l'Afghanistan. Maintenant basé aux Philippines en tant que conseiller militaire indépendant, la police, le gouvernement et les entreprises recherchent ses compétences.

Des gars comme lui sont un nouveau type de produit d'exportation pour le Canada. Jadis connu pour ses soldats de la paix, le Canada s’est acquis une réputation dans l'industrie de la sécurité internationale comme une source de mercenaires hautement qualifiés.

Les critiques disent que ces mercenaires sont un risque pour la réputation du Canada si leurs compétences sont utilisées par le mauvais type de gouvernement ou d’organisation. Ils opèrent dans un vide juridique. Plusieurs pays  restreignent ou réglementent l’utilisation de leurs citoyens par les entreprises militaires privées, mais pas le Canada. 

L'industrie est en plein essor depuis 2002, mais les fonctionnaires des Affaires étrangères disent que la question n'est pas à l’agenda. Bien que les rapports des Forces canadiennes obtenus par le journal The Citizen avertissent que les entreprises privées recrutent activement des membres du JTF2 (Force opérationnelle interarmées 2), unité de forces spéciales d'élite, les représentants de l’armée disent ne pas savoir combien de vétérans du JTF2  ont quitté pour travailler comme mercenaires.

Les soldats du privé - anciens membres des Forces canadiennes et quelques retraités de la GRC - ont une vision différente de leur travail. Les gouvernements, leurs armées et les organisations officielles telles que les Nations Unies sont trop bureaucratiques pour faire face à la réalité anarchique du monde de l'après-guerre froide, selon eux. Les entreprises de sécurité et leurs mercenaires sont moins chers et peuvent réagir plus rapidement et plus efficacement aux problèmes de sécurité du monde, soutiennent-ils.

Ces hommes, qui préfèrent s’appeler des agents de sécurité privés, sont employés à l'étranger par des sociétés minières et d'autres grandes sociétés pour protéger leurs installations-clés ou les conseiller sur les menaces potentielles. Les organismes d'aide et les gouvernements les utilisent pour protéger leurs employés dans des endroits dangereux tels que l'Irak. Les petits pays emploient ces hommes pour former des armées. En Arabie Saoudite, des officiers retraités des Forces canadiennes ont donné de la formation sur les tactiques propres aux blindés et transports de troupes.

Certains, comme William, vont au combat avec les unités qu'ils forment. Des anciens du génie militaire des Forces canadiennes sont devenus des contributeurs importants dans le secteur privé du déminage, des millions de mines ayant été laissées dans les théâtres d’opération dans le monde entier à la suite de guerres.

William n’est pas le seul Canadien de sa profession aux Philippines. À Subic Bay , près de Manille, un ancien soldat des Forces canadiennes et un retraité de la GRC forment des gardes du corps. Le Citizen a également trouvé que des Canadiens travaillent pour des entreprises militaires privées en Irak, en Arabie saoudite, en Équateur, en Afghanistan et dans divers pays d'Asie et d'Afrique. Ce travail leur offre l'aventure, l'argent et la chance d'utiliser leurs compétences militaires.

Le travail est quasi-clandestin, donc les chiffres exacts en sont difficiles à déterminer, mais ils augmentent de plus en plus.

Trois agents de sécurité canadiens ont été tués en Irak. Richard Flynn, un agent de la GRC à la retraite qui travaillait comme gardien de sécurité, est mort en 2004 lorsque le véhicule qu'il conduisait a été détruit par une bombe artisanale.  Andy Bradsell de Victoria et Stefan Surette de Saint-Anne-du-Ruisseau, N.-É ont été tués lors d’autres embuscades.

M. Surette, un ancien membre des Forces canadiennes ayant servi en Croatie et plus tard rejoint l'armée britannique, a été tué en Avril 2005 au cours d'une fusillade près de l'aéroport de Bagdad.

M. Bradsell, qui a grandi à Edmonton, a également servi dans l'armée britannique. Il est mort en 2004 en essayant de protéger un ingénieur américain pris en embuscade par les insurgés.

Il peut y avoir d'autres décès de Canadiens, mais ils n'ont pas été signalés par les familles ou les firmes les employant.

Mike, un ancien officier des Forces canadiennes en charge de 300 soldats en Irak, qui a également demandé que son nom ne soit pas publié pour des raisons de sécurité, dit avoir rencontré neuf compatriotes travaillant comme entrepreneurs en sécurité dans la région de Bagdad. Trois seraient d’ex-JTF2 et les autres de l’armée régulière.

« Il est connu que des Canadiens occupent la plupart des postes-clés de l’industrie de la sécurité privée dans le monde », ajoute Sam Dow, un ancien soldat canadien qui a également travaillé en Irak comme entrepreneur en sécurité. M. Dow, qui a pris sa retraite de l'armée après 21 ans, a été l'un des premiers entrepreneurs de sécurité privés en Irak après la fin de l'invasion américaine. Il dirige maintenant un groupe de sociétés britanniques, Olive Security. «  Les Canadiens n’étaient pas considérés comme un facteur majeur dans le monde de la sécurité, mais cela est en train de changer rapidement, j’en rencontre de plus en plus. »

Dans d'autres cas, les entreprises canadiennes jouent un rôle de soutien. En Avril 2004, huit mercenaires américains et de Fidji ont été tués quand un hélicoptère bulgare, affrété par une société affiliée à la SkyLink basée à Toronto, a été abattu à 20 kilomètres au nord de Bagdad. Les insurgés ont affirmé avoir abattu l'hélicoptère avec un de leurs missiles.

« À ce stade, le Canada est beaucoup plus un fournisseur de main d’oeuvre qu’un maître d’œuvre », explique Christopher Spearin, professeur au Collège des Forces canadiennes à Toronto et l' un des rares spécialistes des sociétés militaires privées au Canada.

Au centre du bassin de recrutement se trouve le JTF2 basé à Ottawa. Les soldats disent qu’au cours des dernières années une vague de leurs collègues a démissionné pour prendre des emplois chez des sociétés de sécurité.

Des documents obtenus par le Citizen en vertu de la Loi sur l'accès à l' information confirment que les sociétés ciblent cette unité. « La réputation mondiale du JTF2 comme une unité SOF (opérations spéciales) a attiré l'attention d'un grand nombre de ces entreprises de sécurité », met en garde un des documents.

Selon un porte-parole du ministère de la Défense, les opérations de l'unité n'ont pas été affectées. Mais même la perte d’un petit nombre d’individus peut avoir des effets négatifs, de noter des analystes de la défense.

La perte de militaires canadiens des forces régulières en faveur du secteur privé a également porté un coup aux efforts de l'armée pour augmenter ses effectifs en vue de l’application de la nouvelle politique de défense du gouvernement Martin. 

RAJEUNISSEMENT DE L’IMAGE

Les mercenaires sont aussi vieux que la guerre. Mais il y a eu une résurgence dans les années 1990 lorsqu’ils se débarrassèrent de cette étiquette pour se réinventer en sociétés militaires légitimes. Ces entreprises, de Executive Outcomes en Afrique du Sud à Sandline International en Angleterre, produisent des brochures en papier glacé et des vidéos de  promotion mettant l'accent sur leur capacité à offrir de la guerre privée.

Executive Outcomes basé à Pretoria se vantait d’une armée de 500 hommes et de sa propre force aérienne. La société, par la suite contrainte à la dissolution par l'Afrique du Sud, avait été engagée par le gouvernement de Sierra Leone dans les années 1990 pour vaincre une bande de guérilleros.

Dans l'ex - Yougoslavie, des généraux américains retraités employés par Military Professional Resources Inc. de Virginie formèrent l'armée croate, lui donnant les compétences nécessaires pour lancer l'opération Storm, une offensive en 1995 qui refoula les forces serbes dans la région contestée de la Krajina. Les sociétés privées ont également commencé à offrir des services de soutien aux armées régulières, en fournissant de la formation, de la logistique et des avions.

Les Canadiens sont arrivés tranquillement sur la scène au milieu des années 1990, lorsque des officiers du génie militaire à la retraite ont été embauchés par des entreprises avec des contrats de l'ONU pour désamorcer des mines terrestres dans les pays déchirés par la guerre.

Il y eut peu de controverse au sujet de ces opérations.

Certains soldats, comme Dave McCracken, sont devenus très respectés pour leur savoir-faire. En  2004, M. McCracken était en Irak pour superviser la formation du personnel de déminage irakien en vertu d'un programme parrainé par les États-Unis. Seize  autres anciens du génie militaire canadien, qui se sont en plaisantant surnommé la «Canadian mafia, » ont également participé à ce programme.

M. McCracken travaille maintenant en Thaïlande et au Cambodge. D'autres anciens soldats canadiens, comme James Davis, ont trouvé du travail en Afrique en tant que consultants en sécurité. Certains se sont dirigés vers l'Amérique du Sud, où sont actives des entreprises minières canadiennes.

Le brigadier-général à la retraite Ian Douglas se trouvait en charge d'une armée de 1500 mercenaires, quoiqu’avec la sanction de l'Organisation des Nations Unies. Composée de brutaux gardes du palais de l'ancien président zaïrois Mobutu Sese Seko, la tâche de cette armée de fortune était de protéger les réfugiés fuyant le génocide rwandais.

M. Douglas dit que ces soldats zaïrois ont été tenus sous contrôle durant la mission de 1995 par des paiements réguliers en espèces, une étroite surveillance et une formation reçue d'une équipe de 50 soldats et policiers en service et à la retraite de plusieurs pays.

« Cela a démontré que vous pouvez prendre des gens qui sont considérés comme archi-criminels, qui n’ont ni morale ni éthique, qui ne comprennent pas le terme« droits de l'homme », et travailler avec eux dans un environnement raisonnable dont vous avez défini les paramètres », ajoute M. Douglas, maintenant un conseiller en défense à Ottawa.

L'officier à la retraite affirme que son expérience africaine l’a convaincu que les mercenaires ont une place sur les champs de bataille de l’avenir, d'autant plus que les pays occidentaux continuent de réduire leurs armées régulières. Les missions humanitaires ne réussissent que si elles peuvent assurer un environnement sécurisé, note-t-il. « Je ne lève pas les bras au ciel en disant: « Pas de mercenaires ». Si les pays continuent à réduire leurs forces armées et si vous ne pouvez assurer la sécurité requise, alors comment pouvez-vous contribuer? Vous louez, vous sous-contractez. "

Le recours aux firmes militaires privées s’est  étendu aux missions canadiennes régulières. À la fin des années 1990, les troupes canadiennes en Haïti ont été transportées dans des hélicoptères appartenant à Charter International Inc. de l'Oregon, une société privée créée par un ancien officier américain des forces spéciales. La réputation de l'entreprise dans le secteur de la sécurité a été renforcée en 1996 après sa défense de l'ambassade des États-Unis lorsque des rebelles ont envahi la capitale libérienne de Monrovia. Ses hommes repoussèrent leurs attaques jusqu'à ce qu'une équipe américaine des forces spéciales puisse intervenir.

Tout au long de la fin des années 1990, l'industrie s’est développée à un rythme soutenu avec les grandes firmes américaines, DynCorp et MPRI, qui s’emparèrent du marché grâce à leurs bons contacts au Pentagone.

Tandis qu’Executive Outcomes participait aux guerres africaines, l'embauche de Sandline internationale pour combattre les rebelles en Papouasie-Nouvelle-Guinée déclenchait une mutinerie dans l' armée de pays. Certains membres de l'ONU ont fait campagne sans succès contre ces organisations.

D'autres observateurs ont prédit qu'il n'y aurait des contrats que pour alimenter quelques sociétés militaires privées. Mais l'invasion de l'Irak en 2003 a ouvert les vannes.

COMBLER L'ÉCART

Au lendemain de la guerre, le gouvernement américain n'a pas voulu maintenir les forces militaires nécessaires pour contrôler l'anarchie qui sévissait en Irak. Avec avidité, le secteur privé combla cette lacune. Aujourd'hui (en 2005), environ 70,000 entrepreneurs civils soutiennent les opérations militaires ou de sécurité, constituant la deuxième plus grande force étrangère en Irak. La majorité des emplois sont banals - la conduite ou la réparation de camions, le stockage des fournitures, le travaille en cuisine, dans les buanderies ou dans la construction de bases militaires pour le Pentagone. Mais 20,000 sont des mercenaires étrangers, assurant la protection des VIP et des fonctionnaires, protégeant les oléoducs et autres  infrastructures-clés tels les centrales hydro-électriques.

Les responsables américains estiment que dix pour cent de l'argent dépensé pour la reconstruction de l'Irak est allé à la sécurité. Paul Bremer, l'ancien haut responsable américain en Irak, mettait ce chiffre plus proche de vingt-cinq pour cent. Dans tous les cas, les  entreprises de sécurité surtout américaines et britanniques gagnent des millions.

Le coût en vies humaines a été élevé. Il n'y a pas décompte officiel, mais l'Irak Casualties Coalition a une liste partielle de décès de 272 entrepreneurs privés allant des conducteurs de camions aux gardes du corps. La plupart ont été tués dans des embuscades ou par des bombes artisanales en bordure de route.

Les agents de sécurité sont également une source de controverse. Les responsables irakiens affirment qu’ils ont tué ou blessé des civils. Ils veulent qu'ils soient mieux contrôlés.

Il y a aussi eut des heurts entre troupes privées et régulières de l'armée américaine.

En mai 2005, les marines américains ont détenus seize mercenaires américaines, affirmant que cette « équipe de mercenaires voyous » avaient tiré sur des soldats américains et des civils irakiens à Fallujah. Les privés nièrent ces allégations, et furent au final libérés.

'ACTIONS NÉGLIGENTES'

Il y eut aussi des doutes sur les qualifications de certains mercenaires. Peu avant le décès dans une fusillade du canadien Stefan Surette et de deux autres privés en avril 2005, un collègue d'Edimbourg Risk and Security Management mit en garde les responsables de l'entreprise contre le manque de rigueur de leur formation.

Scott Traudt décocha une lettre détaillant les « échecs répétés et dangereux actes de négligence, » un équipement inadéquat et des problèmes d'ivresse. Il fut interrogé sur les compétences de certains des chefs des unités de sécurité de la société britannique. M. Surette était hautement qualifié, ayant servi à plusieurs reprises en Afghanistan et en Irak. Mais son équipe incluait un officier de police sans aucune expérience militaire et son unité était commandée par un ancien infirmier militaire. Un représentant de la compagnie dit que ces problèmes avaient été réglés.

Mike, l'entrepreneur canadien en sécurité en charge de 300 soldats à Bagdad, reconnaît qu’il y a des problèmes, en particulier chez les entreprises et individus américains. Dans certains cas, il y avait des préoccupations au sujet de la formation. D'autres cas concernaient l’usage de drogue et l'abus de stéroïdes.

Mike dit que l'industrie s’est débarrassée des « cowboys » qui lui ont donné une mauvaise réputation dans les premiers jours de l'occupation américaine en Irak. Il dit que ses propres hommes évitent la confrontation avec les civils. « Nous ne voulons pas aggraver les problèmes avec le peuple irakien. La dernière chose que nous voulons c’est qu’une balle perdue frappe un gamin. Mes gars ne sont pas là-bas pour faire du tir au pigeon sur les Irakiens."

Mais ce n’est pas seulement en Irak que sont apparus des problèmes:

* David Hudak, un spécialiste des explosifs et formateur en contre-terrorisme de Vancouver, a été pris dans un cauchemar juridique après le recrutement vétérans des forces spéciales pour sa société basée au Nouveau-Mexique.

Son entreprise avait organisé des cours pour du personnel militaire du Canada, d’Israël, de Singapour et de l'Irlande avant que M. Hudak ne viole des lois américaines en 2002. Il a été accusé de mettre en place un contrat de douze millions $ pour fournir de la formation de sniper et en explosifs aux troupes des Émirats Arabes Unis. Les procureurs affirmaient que M. Hudak était en possession illégale de missiles valant des millions de dollars lorsque la police perquisitionna son centre de formation du Nouveau-Mexique. M. Hudak a finalement été déclaré non coupable, mais son entreprise a été réduite en lambeaux.

* En 1999, deux dénonciateurs chez DynCorp  racontèrent comment treize hommes travaillant au soutien des opérations militaires américaines en Bosnie ont utilisé des femmes comme esclaves sexuelles ou ont été impliqués dans des activités liées à la prostitution. L'armée américaine a déterminé qu'elle n'avait pas compétence parce que ces hommes travaillaient pour une entreprise privée.

* Des officiers canadiens ont documenté les crimes de guerre commis pendant l'opération Storm en Croatie, certains alléguant que l'armée croate n’aurait pu exécuter cette offensive bien planifiée sans la participation directe d’officiers américains à la retraite travaillant pour MPRI. Des centaines de civils serbes sont morts et 200,000 ont été forcés de quitter leurs foyers au cours de cette opération.

* Des sociétés minières canadiennes ont employé AirScan, une compagnie d'aviation américaine controversée dont les employés ont été reliés à un raid aérien raté en 1998 contre les forces rebelles en Colombie qui a tué dix-huit civils non armés, dont neuf enfants.

En 2004, la Force  internationale d’assistance à la sécurité de l' OTAN, dirigée par le général canadien Rick Hillier, a fourni à un mercenaire américain des équipes de déminage pour faciliter son raid contre des habitations de civils afghans. Les officiers responsables déclarèrent plus tard qu’ils croyaient aider en Jonathan Idema un soldat des forces spéciales américaines parce qu’il était vêtu et s’exprimait comme l’un d’eux.

Lorsque la police afghane a arrêté M. Idema, elle a découvert plusieurs civils pendus par les pieds dans sa prison de fortune de Kaboul. Ces civils  ont témoigné qu'ils ont été battus et ont eu de l'eau bouillante versée sur eux. M. Idema, un criminel condamné  aux États-Unis, nia avoir abusé et prétendit avoir utilisé des « techniques d'interrogatoire standard ».

Les documents des Forces canadiennes obtenus par le Citizen montrent que l’arrestation du mercenaire a choqué la hiérarchie de l'OTAN et son personnel juridique a remis en question l'aide qu'il a reçue de l'Alliance.

Les officiers américains et canadiens prirent rapidement leurs distances de M. Idema. Les fonctionnaires canadiens soulignèrent que le général Hillier n'avait pas personnellement ordonné à des troupes de soutenir les raids de M. Idema.

M. Idema a été condamné en Septembre 2004 à dix ans de prison pour détention et torture des civils Afghans. Mais de telles poursuites couronnées de succès sont très inhabituelles dans le monde des entreprises de sécurité et ont probablement eu lieu du fait que M. Idema agissait à son propre compte sans la protection d'une grande entreprise.

De tels abus et le potentiel d’activités illégales devraient pousser le gouvernement fédéral à agir sur cette question, affirme l'analyste de la défense Steve Staples.

«  Il est clair que le gouvernement canadien doit discipliner cette industrie », a avancé M. Staples, directeur des programmes de sécurité à l'Institut Polaris à Ottawa. « Ces anciens soldats ont été formés aux frais des contribuables et toute entreprise qui a assez d' argent peut les embaucher. Où est la surveillance? »

M. Staples affirme que le gouvernement canadien devrait se poser de difficiles questions. Est-ce que les anciens soldats canadiens qui travaillent dans l'industrie de la sécurité sont impliqués dans des rôles de combat? Prennent- ils des prisonniers? Quel genre de travail font-ils pour des gouvernements étrangers et des entreprises?

Au moins une partie de ce travail est fait pour le gouvernement canadien. Le ministère des Affaires étrangères emploie des sociétés militaires privées pour gérer la sécurité à certaines de ses ambassades, dit M. Spearin, professeur au Collège des Forces canadiennes.

La firme américaine ArmorHoldings a assuré la sécurité de l’ambassade du Canada et des bureaux de l' ACDI en République démocratique du Congo. Le Groupe Golan, une entreprise gérée par des anciens des forces spéciales israéliennes, gère la sécurité des missions diplomatiques canadiennes en Amérique centrale, selon M. Spearin.

Porte-parole des Affaires étrangères, Kim Girtel a déclaré le ministère espère dans l'avenir financer des projets « pour produire des recommandations politiques concrètes et des recherches approfondies sur la règlementation » de l'industrie militaire privée.

Mais elle a reconnu qu’: « Il est encore difficile de définir ce que nous essayons de contrôler ainsi que la nature des entreprises en existence et ce qu’elles font. »

M. Spearin révèle que peu de lois encadrent les ex-soldats canadiens - et elles datent des années 1930, quand on a tenté de contrôler le nombre de Canadiens se portant volontaires pour combattre dans la guerre civile espagnole. Le professeur de droit international Michael Byers dit que les  canadiens travaillant pour des entreprises de sécurité à l'étranger opèrent dans un flou juridique.

Ce flou juridique n’a pas arrêté le flux de recrues, même si les salaires dans l’industrie périclitaient. Peu de temps après la fin de l'invasion de l'Irak, les mercenaires faisaient jusqu’à 1000 $ US par jour. Avec de tels salaires, des soldats des forces spéciales et des troupes régulières dans le monde entier ont commencé à remettre leur démission.

En 2004, le ministère de la Défense du Canada a tenté de connaître la « valeur marchande » de son personnel JTF2 après une vague de démissions vers le secteur privé. En 2003, il a noté que ces soldats pouvaient gagner un minimum de 500 $ à 700 $ par jour pour les travaux de sécurité à l'étranger. Mais ces tarifs sont l'exception. Le salaire pour un ancien soldat des pays occidentaux travaillant en Irak commençaient à 120,000 US $ par an. Ceux dans la gestion ou pour des missions risquées à court terme, telles que la protection des responsables gouvernementaux de haut niveau, font beaucoup plus.

Un travail plus typique, disent les soldats canadiens, serait du genre d’une position affichée en 2004 sur le réseau informatique du ministère de la Défense nationale. La direction des opérations de maintien de la paix de l'ONU était à la recherche d'un conseiller à la sécurité pour un contrat de six mois au Kosovo. Le salaire était de 68,306 $ US, avec une option d'une prolongation de six mois.

Mike, l'ancien officier canadien actuellement en Irak, dit recevoir régulièrement des demandes de renseignements de ses anciens camarades. « Je leur dis qu'il n'est pas économiquement justifiable de quitter l'armée après douze ou quinze ans parce que l’argent perdu sur la pension ne sera jamais compensé. Ceux qui quittent pour travailler dans l'industrie de la sécurité ont déjà leurs pensions ou croient qu’ils peuvent réintégrer les Forces canadiennes plus tard."

Les anciens soldats interrogés par le Citizen disent que si le meilleur salaire est important, ils ont aussi été attirés par le secteur privé en raison de la possibilité de pouvoir utiliser leurs compétences militaires.

« Dans l'armée canadienne, même en Afghanistan, tout ce que nous avons fait était d'aller sur des patrouilles, montrer notre présence à la population locale, le même vieux trucs que je j'ai fait au Kosovo », dit William, maintenant aux Philippines. « J'ai eu toute cette formation, mais je ne l' utilise vraiment qu’ici dans les Philippines , ou on peut vraiment combattre. »

Plus de Canadiens pourraient bientôt intégrer l'industrie. Au cours des prochaines années, les Forces canadiennes vont faire face à une vague de départs à la retraite anticipée d’officiers et soldats séniors atteignant vingt ans de service et devenant admissibles à la retraite. La plupart seront encore assez jeunes, début et mi-quarantaine, pour avoir une carrière dans le secteur privé, soit en première ligne ou dans le soutien, comme l’entretien des véhicules et des aéronefs.

Le plan du gouvernement Martin de transformer les Forces canadiennes, incluant une augmentation substantielle du nombre des forces spéciales, pourrait nourrir le flux de commandos vers l'industrie de la sécurité privée.

Selon M. Spearin le commandement militaire va devoir suivre les choses de près et le gouvernement fédéral devra inciter ses forces spéciales à rester plutôt que de de se diriger vers le secteur privé. Des primes salariales doivent être considérées pour ces individus hautement qualifiés.

Les responsables de la défense disent ne pas envisager de primes pour les soldats du JTF2. Cependant, un rapport militaire de mai 2004 obtenu par le Citizen discute d’augmentations des salaires et des allocations pour inciter les commandos à rester dans le JTF2.

D'autres pays ont réagi différemment. L'administration Bush a passé une loi qui empêche certaines forces spéciales et d'autres personnels militaires clés de quitter leur poste pendant plusieurs années. Elle a également introduit des primes  allant jusqu'à 150,000 $ pour convaincre les plus qualifiés  de continuer à servir dans les forces armées.

Au Royaume-Uni, le Special Air Service a permis à certains de ses soldats de prendre un congé temporaire pour travailler pour des entreprises privées en Irak.

Dans le même temps, l'armée britannique a dit à ses troupes que ceux qui quittent définitivement pour devenir mercenaires ne pourront plus être réintégrés. Dans une note de l'été 2005, les commandants britanniques d'outre-mer ont été invités à fermer leurs bases au personnel des entreprises militaires privées. On leur a dit d’être très fermes avec les soldats envisageant de se joindre à ces entreprises, en soulignant les hauts taux d'accidents et le manque de formation et d’équipement y prédominant, en plus de souligner que les forces armées ne sont pas tenues d'aider les soldats indépendants blessés au combat.

L'armée canadienne a pris peu de mesures sur la question. Au cours de la mission en Afghanistan en 2003, des officiers autorisèrent un ancien sergent, qui avait servi avec le Royal Canadian Regiment, d’accéder à leur base à Kaboul pour qu'il puisse recruter pour son entreprise de sécurité opérant dans le pays. L'intérêt pour les emplois proposés aurait été extrêmement élevé.

M. Staples croit que le Canada doit adopter une ligne plus dure quant à l'industrie. Les anciens soldats qui louent leurs services doivent être considérés être dans la même catégorie que les armes et munitions de guerre, dont l'exportation est sujette aux lois fédérales, selon lui.

Tasha Bradsell, dont le mari Andy a été tué en Irak, est d'accord qu'il doit y avoir une réglementation, en particulier pour les entreprises impliquées dans les combats. Citant le cas des entreprises de sécurité privées impliquées dans la torture et les passages à tabac de prisonniers à la prison d' Abou Ghraib en Irak, elle fait valoir également que les gouvernements doivent avoir une meilleure idée de ce que font les entreprises. « Il doit y avoir de la transparence, parce que sinon ça échappe au contrôle des civils, des démocraties, des gens qui s’en soucient. »

Les soldats du privé eux-mêmes ont des opinions partagées. Certains sont en faveur de plus de surveillance. D'autres se demandent si les règlements, en particulier ceux préconisant une surveillance individuelle de chaque mercenaire, seraient praticables.

M. Dow croit que toute réglementation nuirait aux entreprises de sécurité privées, qui peuvent rapidement et efficacement mettre hommes et équipements sur le terrain.

« Une réglementation gouvernementale de  notre travail ne nous renverrait au Moyen-âge, » dit-il. « Nous deviendrions un autre fiasco des Nations Unies. »

M. Spearin croit que le Canada n’agira pas tant qu’il ne sera pas mis à la gêne par ses soldats privés. Un scandale, dit-il, comme celui souffert par la Grande-Bretagne elle-même lorsqu’une société militaire basée à Londres a été liée à un trafic d’armes illégal en Afrique. Ou ce pourrait être d'anciens soldats canadiens liés à des violations des droits de l'Homme ou à un coup d'état.

« Il est inévitable que certains abusent du système », ajoute M. Byers, spécialiste du droit international à l'Université de la Colombie-Britannique. « Et les chances augmentent dans les situations relativement chaotiques que l’on trouve dans des endroits comme l'Irak, avec des menaces potentielles presque partout et beaucoup de gens, y compris des Canadiens, portant des armes. C’est une recette pour un malheur. »

Source : corpwatch.org

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