lundi, 02 mai 2016 12:47

Le Canada et la destruction de Benin City

Evaluez cet article
(3 vote)

Traduction par Jean Tavernier

Peu de Canadiens connaissent les villes africaines précoloniales, et encore moins savent qu’un chef militaire canadien a contribué au pillage d’une des grandes métropoles d’Afrique de l’Ouest. Lorsque les Britanniques et les Canadiens ont pris part à la « Ruée vers l’Afrique », ils ont agi en toute impunité, affichant un mépris total à l'égard des biens, des forêts sacrées et des peuples. Ils n’ont vu que des sauvages qui devaient être domptés.

 

Dans le cinquième fascicule de leur série « Story of Cities », les journalistes du Guardian ont récemment porté un regard sur Benin City, la capitale perdue d’un État précolonial d'envergure. À son zénith pendant le Moyen Âge, Benin City et 500 établissements interconnectés étaient le site d’une des plus colossales œuvres de terrassement antérieures à l’âge industriel. Les murs, bâtis dans le sud de l'actuel Nigeria, étaient quatre fois plus longs que la Grande Muraille de Chine, pour un total de 16000 km.

Benin City disposait de l’éclairage public avant la plupart des autres villes. En 1691, un capitaine de navire portugais, Lourenço Pinto, écrit que la ville était « plus large que Lisbonne » et « si bien gouvernée que le vol y était inconnu ».

Fondée au onzième siècle, Benin City subit progressivement l’empiétement européen et le commerce d’esclaves transatlantique. Finalement, en 1897, un corps britannique bien armé de 1 200 hommes pille la ville, dérobe ou détruit ses richesses. Aujourd’hui nous avons davantage de chances de trouver les vestiges de Benin City au British Museum à Londres qu’au Nigeria.

Quid de la connexion canadienne ? Un élève vedette du Collège militaire royal de Kingston, en Ontario, joue un rôle dans cette époque méconnue de l'ère impériale. Né à Sherbrooke, au Québec, William Heneker aide Londres à conquérir Benin City et ses environs. Dans son livre de 1906 Bush Warfare le diplômé du CMR écrit : « Il faut, en règle générale, intimider les nations sauvages, à savoir infliger une défaite cuisante et des pertes élevées à leurs guerriers, comme ce fut le cas lors de la prise de Benin City. »

Au cours de l’expédition punitive britannique au Bénin de 1897, le capitaine Heneker garde captif un chef, Oba. Peu de temps après, il contribue à la capture du fils d’Oba. Le livre Benin Under British Administration nous explique que « le fils exilé d’Oba, Aiguobasimwin, fut aussi délogé d’Igbanke par les troupes des capitaines Heneker et Sheppard ».

En mai 1898, Heneker se joint à une petite troupe qui conquiert la ville d’Ehor et les villages avoisinants d’un Empire du Bénin déclinant. Un compte rendu nous montre notamment comment les forces britanniques ont « saisi l’opportunité d’annihiler Ehor, de la réduire en cendres et d'abattre ses murs. »

L’année suivante, Heneker est officier de renseignement et d’enquête au sein de l’expédition des territoires béninois qui portera le coup final à la résistance du Bénin. Dans l’ouvrage Correspondence Relating to the Benin Territories Expedition, 1889, le consul général Sir R. Moor mentionne Heneker à la tête d’une escouade qui détruit les villes d’Udo et d’Idumere, ainsi qu'une compagnie sous la tutelle du diplômé du CMR « qui incendie et rase la grande ville d’Ugiami, incluant la maison du Roi. »

Les invasions du Bénin permettent aux Britanniques de faire main basse sur de précieuses marchandises. L’auteur William Geary observe que « les résultats de ces opérations ouvrirent la porte à plus de 3 000 miles carrés ou plus riches en forêts de caoutchouc et autres produits africains ». Conséquence de l'expédition, des capitalistes britanniques redoubleront les efforts pour exploiter les forêts de caoutchouc et la Royal Niger Company s’implantera plus profondément au Bénin.

Gravissant les échelons au sein du Régiment du Sud-Nigeria, section de la Force frontalière d’Afrique de l’Ouest, Heneker mène des troupes de plus en plus nombreuses. Avec une force de plus de 200 hommes, il commande les expéditions d’Ulia et d’Esan. Dans Bush Warfare Heneker décrit la politique de terre brûlée adoptée par l’expédition d’Esan : « Un détachement quitte le camp chaque matin, et l'un après l’autre tous les villages du pays sont attaqués et pris. Les bosquets de jujubiers, forêts naturelles sacrées, sont abattus et les stocks de nourriture détruits ou transportés au camp. »

Heneker ainsi que d’autres Canadiens jouent un rôle grandissant dans la région. « La participation canadienne dans la pacification de l’Afrique occidentale », note l’éditeur du Canadian Army Journal Andrew Godefroy, « semble avoir atteint son apogée fin 1901 lorsque les Britanniques lancent une importante opération civile et militaire contre le peuple aro de la tribu des Igbos. » On retrouve au moins une douzaine de Canadiens parmi le corps d’officiers blancs qui mène une troupe de quelques 2000 soldats et 2000 porteurs dont l'objectif est d'ouvrir aux marchés britanniques un corridor de 193 km de largeur et 144 km de longueur dans l'est du Nigeria actuel. Les premiers plans d'une guerre contre les Aro sont en fait l'initiative de la Royal Niger Company qui veut se tailler une plus grande part du commerce de la région.

Le lieutenant de la milice canadienne J.L.R. Parry est mentionné dans des télégrammes pour ses services durant l’expédition contre les Aro, tout comme le lieutenant de la milice canadienne James Wayling. Durant une bataille décisive à Edimma, le commandant britannique A.F. Montanaro raconte : « le lieutenant A.E. Rastrick, de la Milice canadienne… qui était derrière le Maxim (mitrailleuse), l’utilisa avec brio : la conduite de tir et la discipline furent telles que l’ennemi se vit forcé de battre en retraite ».

Heneker est l'officier supérieur parmi les Canadiens durant la campagne contre les Aro. Ne répondant qu'à Montarano, le diplômé du CMR mène une des quatre colonnes déployées en novembre 1901 contre Arochukwu, la capitale des familles aro. Sa force est composée de 19 officiers européens et 700 soldats de rang locaux.

La capture d’Arochukwu sera une bataille brutale et à sens unique. S.O. Onwukwe décrit la « destruction totale de l'Empire » dans The Rise and Fall of the Arochukwu Empire, 1400-1902. « Les envahisseurs britanniques n’épargnèrent pas Arochukwu, ils menèrent une guerre punitive et ne respectèrent aucun lieu saint. L’ordre donné aux hommes fut "attaquer, détruire et brûler". Les troupes sur le terrain prirent cette instruction à la lettre. »

Entre 1897 et 1906, Heneker sert dans plus d’une douzaine de campagnes différentes en Afrique de l’Ouest. Une décennie à travailler à la conquête du Sud du Nigeria lui vaudra d'être mentionné dans un certain nombre de dépêches, ainsi qu'une série de médailles incluant l’Ordre du Service distingué. « L’un des plus éminents chefs militaires britanniques sur la côte d'Afrique de l'Ouest », Heneker sera plus tard promu au rang de major-général, lieutenant-général et enfin général. Heneker était l’un des Canadiens entraînés par douzaines au CMR, académie qui ouvrit ses portes en 1876, notamment dans le but de former « des gentilshommes blancs convenables » qui seront les officiers de l’impérialisme britannique, protagonistes de la « Ruée vers l’Afrique » du 19ième siècle .

Après avoir terminé son service en Afrique de l’Ouest, Heneker publie Bush Warfare, qui pendant plusieurs années sera une « lecture obligatoire et un document de référence pour tous les commandants », puis inspirera le futur manuel de l’Office de la guerre Notes on Imperial Policing. Dans une section du livre intitulée « Relations générales », Heneker écrit : « Ce qui importe par-dessus tout, c'est d’impressionner les sauvages en tirant parti de leur propre faiblesse, et ceci dans l’intention d’occuper le pays, d’imposer la volonté de l’homme blanc et de remplir les objectifs de l'expédition. Ni clémence ni demi-mesures ne seront d’utilité avant que le sauvage ne ressente le pouvoir de la force. L'indulgence est traitée comme un signe de faiblesse. »

De troublants propos racistes d’un Canadien qui aida à détruire l’une des plus grandes villes précoloniales de l’Afrique. Et une partie de notre histoire.

Source : pambazuka.org

Commentaires   

 
0 #1 valery djondo 12-05-2016 06:54
Si les Africains avaient pu deviner à quelle force destructrice ils avaient affaire, ils auraient sans doute tenté de sauver leur civilisation...
Mes ancêtres sont africains et du bénin.
Je suis heureux de savoir qu'il y avait une richesse civilisationnel le dans ce pays parce qu'on ne nous l'enseigne pas dans la vie occidentale.

Je crois que la civilisation occidentale peut avoir honte de ce qu'elle a fait. J'ai l'impression qu'elle n'a rien produit, rien inventé, sauf l'internet... Qui nous permet de nous réapproprier une partie de ce qui a été perdu.

Les Anglais ont fondé Israel. C'est curieux quand on pense que la famille royale est allemande...
Ils ont exporté en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Inde, aux USA leur théorie raciste et fait beaucoup de tors aux peuples jusqu'a aujourd'hui.

La seule vrai question que je me pose aujourd'hui c'est comment arrêter cette finance criminelle qui contamine la biosphère avec ses OGM terminator, ses produits radioactifs qui prennent feu partout dans le monde (un feu sous terrain aux USA + un feu au japon à Fukushima).

Ma mère est occidentale et mon père Africain. Je ne peux pas me payer le luxe de la haine raciale, enseignée par les judéo-chrétiens -musulman au reste de la planète. Dommage, c'était tentant...
Mais si c'est pour faire la même chose: soumettre les clairs de peau, pourrir la biosphère, espérer partir vivre sur mars pour faire la même chose, où est l'intérêt.
Sans être angéliste, même si nous devons nous armer pour résister à la violence de peuples coalisés pour simplement détruire et voler, nous devons trouver le moyen de construire un monde où les valeurs soient créatives et basées sur le bonheur...

En fait, il en va de la survie de l'espèce humaine.
Qui sinon, comme le règne des lézards, passera...
Citer
 

Ajouter un Commentaire

Veuillez noter que votre commentaire n'apparaîtra qu'après avoir été validé par un administrateur du site. Attention : Cet espace est réservé à la mise en perspective des articles et vidéos du site. Ne seront donc acceptés que les commentaires argumentés et constructifs rédigés dans un français correct. Aucune forme de haine ou de violence ne sera tolérée.


Code de sécurité
Rafraîchir