mercredi, 14 juin 2017 10:20

Trudeau confond antisionisme et antisémitisme

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Traduction par William

Le premier ministre du Canada voudrait nous faire croire que l’idéologie qui a façonné Israël vise à lutter contre les préjugés anti-juifs. Mais, même lorsque l’antisémitisme était une force politique importante au Canada, le sionisme était surtout chauvin et colonialiste.

Le jour de l’indépendance d’Israël ce mois-ci, Justin Trudeau a prononcé un discours par vidéo à un rassemblement à Montréal et publié une déclaration pour marquer l’occasion. « Aujourd'hui, alors que nous célébrons l’indépendance d’Israël, nous réaffirmons également notre engagement à lutter contre l’antisémitisme et l’antisionisme », déclara le PM dans une rare référence par un haut dirigeant politique à l’idéologie de l’état d’Israël.

Les apologistes d’Israël lient souvent antisionisme et anti-judéité, mais c’est malhonnête. Le sionisme canadien s’est longtemps accommodé d’un certain sentiment anti-juif et n’a jamais été avant tout une idéologie contre ce préjugé.

Quand l’antisémitisme était une force sociale conséquente au Canada il n’était pas rare que des politiciens anti-juifs soutiennent le sionisme. Lors d’un discours de juillet 1922 à la Fédération sioniste du Canada, le premier ministre Mackenzie King, un antisémite avéré, « ne tarit pas d’éloges pour le sionisme, » explique David Bercuson dans Canada and the Birth of Israel. King avait déclaré aux participants que leurs aspirations étaient « en harmonie » avec les plus grands idéaux de l’ « Anglais ». Selon  Zachariah Kay dans Canada and Palestine: The Politics of Non-Commitment, le premier ministre de longue date d’Alberta E.C. Manning « a permis que son nom soit associé au Comité Palestine canadien [organisation sioniste canadienne pré-Israël], mais était connu pour des déclarations antisémites sur son émission « retour à la bible » du dimanche à la radio.

Connu pour soutenir le sionisme comme une manière d’aborder le « problème juif », en 1934 le premier ministre R.B. Bennett lança la collecte de fonds annuelle United Palestine Appealavec une émission de radio diffusée dans tout le pays. Louant la Déclaration Balfour et la conquête britannique de la Palestine, Bennett déclara que la « prophétie biblique est satisfaite. La restauration de Sion a commencé. »

Au niveau politique, l’aversion du gouvernement à l’encontre de l’accueil de réfugiés juifs de la seconde guerre mondiale a amené les diplomates canadiens à promouvoir le plan de l’ONU pour la partition de la Palestine. Un ardent promoteur de la cause sioniste durant les négociations internationales portant sur le mandat britannique de Palestine, le diplomate canadien Lester Pearson croyait que l’envoi de réfugiés juifs vers la Palestine en 1947 était la seule solution pratique à leur sort.

Comparé à il y a six décennies, l’antisémitisme a presque disparu aujourd'hui au Canada. Mais les braises d’un antisionisme antisémite couvent toujours. Ces dix dernières années le Canada Christian College dirigé par Charles McVety a à plusieurs reprises organisé des manifestations pro-Israël – souvent avec le B'nai Brith – même si  dans les années 1990 le Collège avait été en conflit avec le Congrès juif canadien au sujet de cours conçus pour convertir les Juifs. Militant chrétien-sioniste le plus influent au Canada, McVety dirige également la branche canadienne de Christians United for Israel, qui estime que les Juifs doivent se convertir ou brûler en enfer lors de la seconde venue de Jésus Christ.

Cette danse avec l’ennemi n’a rien de nouveau. Historiquement, certains Juifs s’alignèrent avec des sionistes anti-juifs. Pendant la première guerre mondiale de nombreux sionistes juifs canadiens soutinrent avec enthousiasme la Grande-Bretagne et recrutèrent des jeunes hommes pour aider à conquérir la Palestine, même si Londres était allié avec le notoire antisémite tsar de Russie. (À cette époque le sionisme était communément promu comme un moyen pour les Juifs d’échapper à l’antisémitisme tsariste.)

Après la seconde guerre mondiale, certains sionistes juifs puisèrent dans le sentiment anti-juif pour faire avancer leur cause. Dans Canada’s Jews: a People’s journeyGerald Tulchinsky rapporte que « pleinement consciente de la réticence du gouvernement à admettre les Juifs au Canada, la délégation [sioniste] a rappelé à King [le premier ministre antisémite Mackenzie King] que dans les années d’après-guerre, lorsqu’’une multitude de déracinés... frapperaient à la porte de tous les pays,' la Palestine pourrait accueillir beaucoup de Juifs qui voudraient venir au Canada. »

Il est vrai que les colonies sionistes en Palestine absorbèrent des dizaines de milliers de réfugiés après la seconde guerre mondiale et fournirent dans les années 1930 un refuge à de nombreux Juifs, leur permettant d’échapper à la persécution nazie. Mais il est également vrai que les sionistes étaient disposés à attiser l’antisémitisme et même à tuer des Juifs si ça pouvait servir leurs fins nationalistes/colonialistes. Pour déjouer les efforts britanniques pour reloger à l’île Maurice les réfugiés Juifs fuyant l’Europe, en 1940 l’Agence juive, le gouvernement sioniste en attente en Palestine, tua 267 personnes, pour la plupart des Juifs, par le bombardement du navire Patria. Dans State of Terror: How Terrorism Created Modern Israel, Tom Suarez conclut que la direction sioniste était prête à tuer des Juifs si ça aidait sa cause, parce que « Les Juifs persécutés servent le projet politique, pas l’inverse. »

Généralement présenté comme une réponse à l’antisémitisme en Europe à la fin des années 1800 — « le sionisme ... mis au point à la fin du XIXe siècle en réaction à l’antisémitisme européen », selon un article récent sur le site pro-palestinien Canada Talks Israel Palestine — le mouvement sioniste dirigée par Theodore Herzl a été, en effet, stimulé par les idéologies chrétiennes, nationalistes et impérialistes, balayant l’Europe à l’époque.

Après deux millénaires au long desquels la restauration juive était considérée comme un événement spirituel devant résulter d’une intervention divine, le sionisme prit enfin racine chez certains Juifs après deux siècles d’activisme sioniste protestant. Le « proto-sionisme chrétien [a existé] en Angleterre 300 ans avant l’émergence du sionisme juif moderne, » note Evangelics and Israel: The Story of American Christian Zionism. Jusqu'au milieu des années 1800 le sionisme a été un mouvement presque entièrement non juif. Et pourtant, il fut tout à fait actif. Entre 1796 et 1800, note Non-Jewish Zionism: its roots in Western history, au moins 50 livres furent publiés en Europe sur le retour des Juifs en Palestine. Ce mouvement reflète les lectures plus littérales de la Bible découlant de la réforme protestante.

Un autre facteur qui stimula le sionisme juif fut le nationaliste balayant l’Europe dans les années 1800. L’Allemagne, l’Italie et un certain nombre d’États d’Europe orientale ont été tous créés durant cette période.

Outre ses influences littéralistes bibliques et nationalistes, le sionisme a pris racine à l’apogée de l’impérialisme européen. En route vers la première guerre mondiale, les empires européens se pressèrent de se partager l’Afrique et le Moyen-Orient. (Ils contrôlaient environ 10 % de l’Afrique en 1870, mais en 1914 seulement l’Éthiopie était encore indépendante du contrôle européen. Le Libéria était à toute fin pratique une colonie américaine.) Lors du sixième Congrès sioniste en 1903 Herzl et deux-tiers des délégués votèrent en faveur de la proposition du Secrétaire d’État britannique des Colonies Joseph Chamberlain visant à allouer 13 000 km2 en Afrique de l’est comme « Territoire juif... à des conditions qui permettront aux membres de respecter leurs coutumes nationales. »

Toute réaction qu’il fut à l’antisémitisme, le sionisme était une tentative par des Juifs européens de bénéficier et de participer au colonialisme.

Au Canada aujourd'hui le soutien juif au sionisme a peu à voir avec la lutte contre les préjugés. Si le sionisme était simplement une réponse à l’antisémitisme, pourquoi le déclin massif de l’anti-judéité n’a-t-il pas diminué sa popularité dans la communauté juive? Au lieu de cela, la direction et une proportion importante de la communauté juive canadienne se sont de plus en plus portés au soutient d’un état fortement militarisé qui continue de nier à sa population autochtone les droits politiques les plus élémentaires.

En 2011, les principaux mécènes de la communauté juive mirent au rebut le Congrès juif canadien centenaire et le remplacèrent par le Centre pour Israël et les affaires juives. Comme le changement de nom l’indique, ce changement représentait un éloignement des préoccupations juives locales vers toujours plus de lobbying en faveur de la politique israélienne.

Les obstacles institutionnels surmontés  il y a un demi-siècle et la société devenant de plus en plus laïque, rabbins et organisations juives devaient  se retrouver un but. Israël est ainsi devenu la connexion principale de beaucoup de gens au judaïsme. Dans Understanding the Zionist Religion, Jonathan Kay a écrit: « dans certains cas que j’ai remarqués, il n’est pas exagéré de dire que le sionisme n’est pas seulement le facteur dominant dans la vie politique des Juifs, mais aussi dans leur vie spirituelle. »

Entre la fin des années 1960 et le milieu des années 2000 il y a eu une corrélation inverse entre le vote juif et les gouvernements pro-israéliens. Bien que moins pro-israéliens, Pierre Trudeau et Jean Chrétien reçurent plus de soutien de la communauté juive canadienne que Brian Mulroney ou Stephen Harper à sa première victoire en 2006.

La trajectoire politique de la circonscription montréalaise de Mont-Royal offre un aperçu intéressant de l’évolution de la communauté juive vers sa concentration sur Israël. Réélu à plusieurs reprises dans une circonscription alors à 50 % juive, Pierre Trudeau prit ses distances d’Israël plus que tout autre premier ministre canadien avant lui ou depuis. Pourtant, Pierre Trudeau était incroyablement populaire auprès de la communauté juive. Concrétisant l’ascension de la juiverie jusqu’au sommet du pouvoir au Canada, Trudeau nomma le premier Juif au cabinet fédéral, Herb Gray, et introduisit la Charte des droits et libertés, qui a renforcé les libertés religieuses. Mais plus récemment cette circonscription est devenue un champ de bataille.

Au cours de l’élection fédérale de 2015 Mont-Royal fut la seule circonscription dans le grand Montréal que le parti conservateur put sérieusement contester. Même si le candidat du Parti libéral Anthony Housefather est un ardent défenseur d’Israël, il a remporté son siège à cause des électeurs non juifs.

Une dynamique similaire est en jeu au centre de la vie juive canadienne. Peut-être la plus favorisée dans le monde, la communauté juive de Toronto fait face à peu de discrimination économique ou politique et bénéficie de niveaux d’éducation et de revenus supérieurs. Pourtant, c’est la base nord-américaine de l’organisation extrémiste sioniste Jewish Defense League. C’est aussi là que se situe la base d’une institution explicitement raciste et colonialiste. Dans ce qui a été  «rapporté le plus grand dîner kasher dans l’histoire canadienne », il y a trois ans, 4,000 personnes remplirent le Toronto Convention Centre pour amasser des fonds pour le Fonds National juif, en l’honneur du premier ministre Stephen Harper.

Quoi qu’en dise Justin Trudeau, le sionisme et les préjugés anti-juifs ont peu à voir avec l’un avec l’autre.

Source : yvesengler.com

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