jeudi, 20 avril 2017 09:44

Le rôle du Canada dans le renversement du président ghanéen Kwame Nkrumah

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Traduction par William

Il y a un demi-siècle plus un an aujourd'hui le Canada aidait à renverser un premier président pan-africaniste. L'armée du Ghana, formée par le Canada, renversa Kwame Nkrumah, leader surnommé « L'homme du millénaire » dans un sondage des auditeurs de la BBC en Afrique en 2000.

Washington et Londres soutinrent le coup d'État. Le gouvernement de Lester Pearson donna également sa bénédiction à l'éviction de Nkrumah. Dans The Deceptive Ash: Bilingualism and Canadian Policy in Africa: 1957-1971, John P. Schlegel écrit: « l'orientation à l’ouest et l'approche plus libérale du nouveau gouvernement militaire a été favorablement accueillie par le Canada. »

Le jour où Nkrumah fut renversé, le premier ministre canadien se vit demander à la Chambre des communes son avis sur ce développement. Pearson ne répondit rien de significatif sur la question. Le lendemain, le ministre des Affaires extérieures, Paul Martin sr. répondit aux questions sur la formation militaire fournie par le Canada au Ghana en disant qu'il n'y avait pas eu de changement dans les instructions. En réponse à une question d’un député sur la reconnaissance du gouvernement militaire, Martin déclara: « Dans de nombreux cas, la reconnaissance est accordée automatiquement. Dans les cas tels que celui survenu au Ghana hier, la tendance est de continuer avec le gouvernement qui a pris le relais, mais sans caution formelle avant qu’un certain temps ne se soit écoulé. Nous allons poursuivre l'arrangement actuel avec le Ghana. La normalisation de nos rapports avec ce pays dépendra d’informations que nous n’avons pas en ce moment. »

Alors que le public canadien pouvait prendre la mesure de Martin et Pearson, ce ne fut pas  le cas du haut commissaire du Canada à Accra, C.E. McGaughey. Dans une note interne aux Affaires extérieures juste après la chute de Nkrumah, McGaughey  écrivit « une chose merveilleuse est arrivé pour l'Ouest au Ghana et le Canada y a joué un digne rôle. » Se référant au coup d'État, le haut commissaire ajouta: « tous ici se réjouissent de cette évolution, sauf les fonctionnaires du parti et les missions diplomatiques communiste. » Il a ensuite félicité l'armée ghanéenne d’avoir « disposé des vauriens russes et chinois. »

Moins de deux semaines après le coup d'État, le gouvernement Pearson a informé la junte militaire que le Canada visait à poursuivre des relations normales. Au lendemain du renversement de Nkrumah, le Canada a envoyé pour 1,820,000 $ (15 millions $ d’aujourd'hui) de farine au Ghana et a offert au régime militaire une centaine de volontaires de CUSO (ndlr : Canadian University Student Overseas). Pour sa part, le Fonds monétaire international (FMI), qui avait coupé l'aide financière au gouvernement de Nkrumah, engagea immédiatement après le coup d'État la restructuration de la dette du Ghana. La contribution du Canada était un don pur et simple. Au cours des trois années entre 1966 et 1969, le régime militaire du Conseil de libération nationale reçut autant d'aide canadienne que le régime Nkrumah en dix ans, soit  22 millions $ en subventions et prêts. Ottawa fut le quatrième principal bailleur de fonds après les États-Unis, le Royaume-Uni et l'ONU.

Deux mois après l'éviction de Nkrumah le haut commissaire du Canada au Ghana écrivit à la société de Havilland basée à Montréal pour obtenir des pièces pour la Force aérienne du Ghana. Inquiète d’un contre-coup d’État par Nkrumah, la Force aérienne cherchait des pièces pour ses aéronefs non opérationnels dans le cas où elle devrait déployer ses forces.

Six mois après avoir renversé Nkrumah, le nouveau chef, le général Joseph Ankrah, effectua une visite officielle à Ottawa dans le cadre d'un voyage passant aussi par Londres et Washington.

En plus du soutien diplomatique et économique pour l'éviction de Nkrumah, le Canada a fourni de la formation militaire. Schlegel a décrit le gouvernement militaire du Ghana comme un « résultat de ce programme de formation militaire. » Un major canadien qui était conseiller du commandant en formation d'une brigade d'infanterie  découvrit les préparatifs du coup d'état la veille de son exécution. Bob Edwards ne dit rien. Après le retrait de Nkrumah le haut commissaire du Canada se vanta au Collège de la défense ghanéenne de l'efficacité du programme canadien de formation des officiers d’état major. Dans une lettre au sous-secrétaire des Affaires extérieures du Canada, McGaughey nota que, « tous les principaux participants du coup d'État étaient des diplômés de ce programme de formation. »

Après l'indépendance du Ghana, son armée demeura sous contrôle britannique. Les généraux britanniques de l’époque coloniale étaient toujours en place et la majorité des dirigeants du Ghana ont continué à être formés en Grande-Bretagne. En réponse à un certain nombre d'incidents embarrassants, Nkrumah limogea les commandants britanniques en Septembre 1961. C’est à ce moment que le Canada a commencé à entraîner l’armée du Ghana.

Bien que les Canadiens organisèrent et supervisèrent la formation des officiers juniors d’état-major, un certain nombre de Canadiens prirent des postes de haut niveau au sein du ministère ghanéen de la Défense. Pour reprendre les mots de l'attaché militaire du Canada au Ghana, le colonel Desmond Deane-Freeman, les Canadiens dans ces positions transmirent « notre façon de penser. » Célébrant l'influence de « notre façon de penser », en 1965 le Haut-commissaire McGaughey écrivit au sous-secrétaire des Affaires extérieures: « Depuis l'indépendance, elle [l'armée du Ghana] a peut-être moins changé sa perspective que toute autre institution Elle est toujours équipée d’armes occidentales et quoiqu’essentiellement non politique, est orientée vers l’Ouest. »

Ce n’était pas tout le monde qui était satisfait de l'attitude de l'armée ou du rôle du Canada dans celle-ci. Un an après l'éviction de Nkrumah, McGaughey écrivait à Ottawa. « Pour certains diplomates africains et asiatiques stationnés à Accra, je crois qu'il ya une tendance à identifier nos politiques d'aide, en particulier s’agissant d'assistance militaire, aux objectifs des politiques américaine et britannique. Les objectifs américains et britanniques ne sont malheureusement pas considérés par de tels observateurs comme au-dessus de la critique ou de la suspicion. » Dans leur livre Ghana and Nkrumah, Thomas Howell et Jeffrey Rajasooria font écho à l'évaluation du haut-commissaire: « Les membres du CPP au pouvoir ont eu tendance à identifier les politiques d'aide du Canada, en particulier dans le domaine de la défense, avec les objectifs des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Les opposants au programme militaire canadien sont allés jusqu'à créer une force compensatoire sous la forme du President’s own Guard Regiment [POGR] du président pro-communiste équipé par les soviétiques. le coup d'État du 24 Février 1966 qui évinça Kwame Krumah et le CPP prenait en partie ses racines dans cette divergence de fidélité des militaires. »

Le POGR devint une armée « rivale directe et potentiellement puissante » de l’armée régulière entrainée par le Canada, note Christopher Kilford dans The Other Cold War: Canada’s military Assistance to the Developing World, 1945-1975 .Même une fois que les fonctionnaires canadiens à Ottawa eurent « bien compris » le rôle important du Canada dans le conflit militaire intérieur en développement au Ghana, écrit Kilford, « il n'y a jamais eu de discussion sérieuse sur le retrait de l'équipe de formation canadienne. »

A mesure que s’écoulaient les années ’60, le gouvernement de Nkrumah devint de plus en plus critique du soutien de Londres et Washington pour la minorité blanche en Afrique australe. Ottawa avait peu de sympathie pour les idéaux panafricains de Nkrumah et ne voyait guère de sens à continuer la formation de l'armée ghanéenne si elle devait, selon les mots de Kilford, « être utilisée pour faire avancer les objectifs politiques de Nkrumah. » Kilford poursuivit en déclarant: «à moins que le gouvernement du Canada ne croit qu’en temps opportun une armée professionnelle bien formée au Ghana pourrait bientôt renverser Nkrumah. »

Lors d'une visite au Ghana en 2012 l'ancien gouverneur général du Canada, Michaëlle Jean, a déposé une gerbe sur la tombe de Nkrumah. Mais, commémorant ce leader panafricaniste, elle n'a pas reconnu le rôle joué par le Canada dans sa chute.

Source : rabble.ca

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