mardi, 04 avril 2017 14:04

La parole est à nos lecteurs : Paul Chomedey de Maisonneuve vient à Montréal en 1640 et plante la première croix sur le mont Royal

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Paul Chomedey de Maisonneuve, fondateur de Montréal en 1642. Huile sur toile par Ozias Leduc, XXe siècle

Gérard Leduc Ph D

Montréal  prépare les célébrations, en 2017, du 375e anniversaire de la fondation de la ville par Paul Chomedey de Maisonneuve. Toutefois, on doit retenir que l’origine légale de Montréal aurait due être  soulignée en 2015, car c’est bien en 1640 que prit naissance le rêve d’une entreprise aux visées religieuses et matérielles. Cette année-là  marqua, en plus, le 375e anniversaire de l’érection de la première croix érigée sur le mont Royal.

L’histoire populaire de Montréal nous enseigne que le 6 janvier 1643, à son  premier hiver en terre canadienne, la colonie naissante de Ville-Marie est menacée d’une inondation du fleuve Saint-Laurent. Paul Chomedey de Maisonneuve, gouverneur, fait alors la promesse à Dieu que si la colonie est épargnée, il ira planter une croix sur le mont Royal (1). Ce fait historique nous est confirmé en 1643 par le Père Barthelemy Vimont, jésuite (référence en fin de texte). Celui-ci avance que le sieur de Maisonneuve a rempli sa promesse, et que le 6 janvier, jour des Rois, il a érigé une croix au pied de la montagne, à une distance d’une lieue, ou environ 5 kilomètres, ce qui correspond à peu près à un endroit sur le chemin de la Côte-des-Neiges, au nord du Grand Séminaire de Montréal (2).

La vérité sur la première croix de la montagne est qu’elle fut érigée en 1640 et c’est Marguerite Bourgeoys qui le corrobore  dans son journal intime inclus dans sa biographie publiée à Montréal en 1818 (référence en fin de texte).

Voyons le contexte de la future colonie de Ville-Marie. Nous sommes en 1640, à l’époque de la puissante Compagnie du Saint-Sacrement de l’Autel, une société secrète formée de clercs et de laïcs dotés de fortunes personnelles, qui se consacrent aux œuvres de bienfaisance et moralisatrices. On y trouve, en autres, en tant que membres, Jean-Jacques Olier, fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (les Sulpiciens), Paul Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, des figures mieux connues de notre histoire. Sous l’égide de Jean-Jacques Olier, cette compagnie va créer la Société Notre-Dame de Montréal, de son vrai nom, Messieurs et Dames de la Société de Notre-Dame pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France. Cet optimisme et la confiance en la divine Providence devaient d'abord se concrétiser par un pied-à-terre en Nouvelle-France. Pour une forte somme payée à Jean Lauzon, futur gouverneur en Nouvelle-France, la Société Notre-Dame de Montréal devient, le 7 août 1640, propriétaire de toute l’île de Montréal. En 1663, tous  les avoirs de cette société passeront aux Sulpiciens.

Entre temps, on se prépare à la fondation de Ville-Marie, située sur l’île de Montréal, et c’est le sulpicien François Dollier de Casson, quatrième supérieur à Montréal, qui écrit : … dès le printemps, avant l’accomplissement de cette affaire avec Lauzon, les associés de la Société envoient au Père Le Jeune, recteur des Jésuites à Québec, une cargaison de vingt tonneaux de denrées, d’outils et d’autres choses. Afin qu’il prit la peine de les leur conserver pour l’an suivant. On voulait ainsi garantir des provisions pour les fondateurs de Montréal à leur arrivée pour le printemps de 1642. Monsieur de Casson nous dit que cette mission outre-mer, préparatoire à la fondation de Ville-Marie, fut effectuée au printemps de 1640.

L’information sur cette mission de 1640 est de nouveau rapportée par le Père Barthelemy Vimont, jésuite, qui écrit en 1642 : … ils enuoyèrent l’an 1640. vingt tonneaux de viures, et d’autres choses necessaires pour commencer en son temps vne nouuelle habitation en l’Isle de Montreal.

Toutefois, ni de Casson ni Vimont ne nous apprennent   qui fut chargé de cette mission. C’est en lisant la biographie de Marguerite Bourgeoys attribuée au sulpicien Étienne Montgolfier (référence en fin de texte), que j’ai découvert que le sieur de Maisonneuve est venu à Montréal en 1640 et son témoignage est confirmé trois fois plutôt qu’une ! D’abord, elle écrit : …nous avons remarqué qu’en 1640, il (de Maisonneuve) étoit venu pour la première fois à Montréal pour y jeter les fondements d’une nouvelle ville qui seroit spécialement consacrée à la très sainte Vierge sous le nom de Ville-Marie.

Plus loin, Marguerite Bourgeoys ajoute qu’à son arrivée ici en 1653 … qu’elle  somma Mr de Maisonneuve de tenir la promesse qu’il lui avait faite de la faire conduire à une Croix plantée sur la montagne, et dont il lui avait souvent parlé durant le voyage (la traversée de La Rochelle à Montréal). Cette croix avait été plantée par Mr de Maisonneuve dans son premier voyage de 1640. Car il ne fut pas plutôt débarqué qu’il se résolut de planter sur le plus haut de la montagne, l’étendard de la sainte Croix, et les enseignes de Marie auprès, sous la protection desquels on pût assembler les Sauvages, dont il espérait la conversion. Suit une description détaillée de l’expédition de Maisonneuve en 1640, cheminant péniblement à travers bois vers le haut de la montagne portant sur ses épaules une grande et lourde croix. Les gens qui l’accompagnaient portaient derrière lui les différentes pièces de bois propres à en faire le pied et à l’étayer lorsqu’elle serait plantée …

Cette date de 1640 est de nouveau confirmée par Étienne Montgolfier lorsqu’il écrit : Il y avait treize ans que cette croix était plantée, lorsqu’en 1653 la Sœur Bourgeoys arriva la première fois à Montréal. Maisonneuve acquiesça à la demande de Sœur Bourgeoys qu’il fit accompagner de trente hommes. Arrivés sur place, on constata avec regret que la croix et les effigies avaient été détruites par les Sauvages. On décida alors de reconstruire la croix, ce qui fut fait avec la contribution de l’habile charpentier Minime, de son vrai nom Gilbert Barbier. … l’on demeura trois jours et trois nuits sur la montagne, pour l’achever ; la Sœur, pendant tout ce temps-là, n’abandonna pas les travailleurs qu’elle servoit avec zèle en tout ce qui pouvoit convenir à son sexe. La croix fut plantée entourée d’une palissade de pieux. On ajoute : Cette Croix subsistoit encore lors qu’en 1760 les Anglois se sont rendus maîtres de Montréal : mais depuis ce temps-là, elle ne paroit plus. Notons, qu’en 1760, Marguerite Bourgeoys était décédée depuis déjà soixante ans.

 Où fut plantée cette croix ? La biographie de la Sœur Bourgeoys nous en donne une bonne indication. Ce lieu devint dans la suite un abord de piété. On dressa dès l’année suivante (1654) au pied de cette Croix, une espèce d’Autel, et le Prêtre Missionnaire de Ville-Marie, alloit assez souvent y dire la Ste, Messe pour la conversion des Sauvages avec un concours de monde aussi considérable qui pouvoit l’être dans ce temps-là. Plus loin on lit : Aussi ce fut au pied de cette montagne qu’on vit bientôt après, s’assembler les premiers Sauvages qui ont embrassé le Christianisme à Montréal, et qui vinrent dans la suite y recevoir les instructions des Prêtres, et les filles, celles des Sœurs de la Congrégation.

Il est assez facile de situer l’endroit de la première croix de 1640 et la deuxième érigée en 1653. Ce fut quelque part le long du chemin de la Côte-des-Neiges, à la hauteur de l’ancienne Mission de la Montagne des Sulpiciens, aujourd’hui l’endroit du Grand Séminaire de Montréal, sur la rue Sherbrooke, entre les rues Guy et Atwater. Comme clairement mentionné plus haut, c’est là que les Indiens de Ville-Marie furent rassemblés et où les religieuses de la Congrégation leur enseignèrent. Une publication par Françoise Bastien (1982) de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, confirme ces dires sur l’endroit de la croix et de la Mission de la Montagne. Je me permets ici ide mentionner que, lors de mes études au Collège de Montréal, notre professeur Antonio Dansereau, un sulpicien nous relatait un témoignage de Marguerite Bourgeoys regardant la croix de Maisonneuve à partir du Fort ici mentionné.



Le vrai visage de Marguerite Bourgeoys par Pierre Le Ber, en 1700


Marguerite Bourgeoys (1620-1700), est la fondatrice de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, engagée dans l’éducation des filles et l’évangélisation des Indiens. Celle-ci, reconnue comme une dévote catholique, une ascète et une mystique, fut canonisée en 1982. La publication de sa biographie est plutôt mystérieuse : LA VIE DE LA VENERABLE SŒUR MARGUERITE BOURGEOYS DITE DU SAINT SACREMENT. Elle est aujourd’hui attribuée au sulpicien Étienne Montgolfier (1712- 1791), et ceci est confirmé par le rév. Père L. Lejeune, Oblat de Marie Immaculée (1931). Elle fut d’abord publiée anonymement en 1818, soit 27 ans après la mort de ce dernier, et 118 ans après celle de Marguerite Bourgeoys en 1700. À la lecture de ce livre, on réalise que quelqu’un obtint son journal personnel, en copia de larges extraits avec les témoignages d’autres personnes sur sa vie et sur sa spiritualité. Le mystère s'épaissit quand on apprend que le livre est publié par William Grey, un franc-maçon de Montréal utilisant les services de l’imprimeur Fleury Mesplet également franc-maçon.

Ces informations sur l’origine de la croix du mont Royal viennent remettre les pendules à l’heure sur l’histoire de Montréal. Selon les témoignages d’archives mentionnés plus haut, le Sieur de Maisonneuve a érigé trois croix au pied de la montagne, soit en 1640, en 1643 et en 1653. Toutefois, la biographie de Marguerite Bourgeoys ne laisse aucun doute sur la date de la première croix érigée par Paul Chomedey de Maisonneuve en 1640. On doit noter  que Marguerite Bourgeoys, qui a minutieusement rapporté en détail l’érection des croix de 1640 et de 1653, et qui jouissait d’une relation privilégiée avec le sieur de Maisonneuve, ne mentionne rien d’une croix érigée en 1643.

Que peut-on conclure des révélations de Dollier de Casson, d’Étienne Montgolfier et de Marguerite Bourgeoys ? Elles jettent une lumière nouvelle sur nos connaissances de l’histoire des premières années de Ville-Marie. Paul Chomedey de Maisonneuve vient à Montréal  en 1640. C’est inédit. L’année suivante, il fait de nouveau voile vers la Nouvelle-France et s’arrête à Québec, puis se rend voir le site de Ville-Marie qui avait été partiellement défriché par Samuel de Champlain en 1611. La saison est déjà trop avancée pour penser à fonder la colonie. Il passera donc l’hiver à Québec, et c’est au printemps suivant, le 18 mai 1642, qu’il viendra fonder Ville-Marie. 

Ce qui est important de noter est que lors de son premier voyage, le sieur de Maisonneuve  s’empresse d’aller planter une croix de bois portant l’image de la Sainte Vierge (peut-être le sceau de la Société). Par ce geste, Maisonneuve concrétise la prise de possession de l’île de Montréal par la Société Notre-Dame de Montréal, comme convenu par l’acte de cession du 7 août 1640, dans la ville de Vienne, province du Dauphiné. On se souvient qu’en 1534, Jacques Cartier planta une croix à Gaspé au nom du roi de France, François 1er, avec un blason illustrant trois fleurs de lys et l’inscription Vive le Roy de France. C’était une prise de possession du territoire du Canada, et cette action prise sans consultation avec les Indiens leur déplut énormément. De la même manière, en 1640, à Montréal, les Iroquois ont certainement interprété le message de la croix plantée par de Maisonneuve comme une prise de possession de leur territoire, et l’ont renversée en signe de protestation.

C’est le début d’une longue et cruelle confrontation qui va ensanglanter l’île de Montréal jusqu’en 1701, année où est signée la Grande Paix. L’enjeu est le contrôle du commerce des fourrures qui représente l’essentiel de l’économie de la nouvelle colonie, Montréal se trouvant au carrefour du transport fluvial de ce commerce. Les Iroquois ont déjà établi des liens de traite avec les Hollandais et, plus tard, avec les Britanniques de la région de New York et de Boston. Ils tiennent à conserver ce monopole.

 

 

Notes

(1)                Cette action héroïque est illustrée dans le magnifique vitrail d’une fenêtre de la basilique Notre-Dame de Montréal. Son origine, de même que celle de tous les autres vitraux, remonte à 1929, créés pour marquer le 100e anniversaire de la basilique. C’est Monsieur Olivier Morault, sulpicien et curé de la paroisse, qui est concepteur du projet.

(1)                La grande croix métallique, illuminée tous les soirs au-dessus de Montréal, fut érigée en 1924 et inaugurée le 24 juin par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en souvenir de la première croix érigée par Maisonneuve. Elle est située à l’extrémité nord-est du mont Royal à un endroit tout à fait détaché de la tradition historique.

Références

François Dollier de Casson. Histoire du Montréal, 1640 à 1672. Texte adapté par Aurélien Boisvert, 1992. Les Éditions 101 enr. 227 pp.

Étienne Montgolfier. 1818. La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeoys dite du Saint Sacrement. Ville-Marie, chez Wm Gray, rue St. Paul. 270 pp.

Le Jeune, L., rév. Père, 1931. Dans Montgolfier Étienne. Dictionnaire général  du Canada. Tome second, Université d’Ottawa, 827 pp

Père Barthelemy Vimont. Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1642 (p. 35-36, et en l’année 1643,p. 52-53). Relations des Jésuites, 1642-1646. Tome 3, Éditions du Jour.

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