jeudi, 18 octobre 2018 10:08

Capitalisme de la légalisation

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Georges VanPelt

En ce jour de grand «progrès», tout le monde y va de sa petite analyse et de son petit pronostic sur les effets qu’engendrera la légalisation du cannabis [i]. Les effets sur l’économie, le crime organisé, la santé… …comme toujours! La critique se cantonne aux sempiternels thèmes imposés par le débat politico-médiatique. Que d’impasses, de culs-de-sac pour la compréhension. Qu'est-il sur le plan civilisationnel? Philosophique? Éthique et moral? Ces mots évoquent-ils encore quelque chose pour Justine et pour les masses abruties par le spectacle de la marchandise?



Libéralisme libertaire

À qui tout cela profite? C’est le questionnement de base de tout citoyen consciencieux qui se respecte. La légalisation profite en premier lieu aux producteurs privés cotés en bourse qui ont vu récemment le prix de leur action monter en flèche. Ils s’appellent Canopy Growth [ii] ou encore Hydropothicaire. Leurs actions n’ont fait que croitre depuis l’annonce du projet de légalisation [iii], sans oublier que leur marché s’étend aux trente-et-un états américains où le cannabis est déjà légal. Pas mal pour des boites qui vendaient encore des tomates [iv] il y a peu!

Pas besoin de campagnes tapageuses pour ces futurs géants du pot : les consommateurs, les spécialistes imposteurs et les médias se chargent de la promotion de leur produit. Les consommateurs, des égoïstes libéraux qui s’ignorent, feront valoir leur «liberté» de consommateurs-jouisseurs pendant que les médecins et les universitaires se chargeront de nous convaincre des vertus médicinales d’un produit à fumer. Et puisqu’il faut étouffer la contestation, nos chers médias aux ordres nous expliqueront que s’opposer à la légalisation, c’est soit être un intégriste religieux puritain soit un narcotrafiquant [v]

Vous l’avez compris, les luttes en apparences progressistes bénéficient en premier lieu au capitalisme sauvage. La gauche progressiste au service de la droite d’affaire néo-libérale, c’est ce que le philosophe Michel Clouscard avait théorisé dès les années 70 et appelait le libéralisme-libertaire [vi].

 

«Le capitalisme a besoin de gestes d’usage pour son énorme marché […] des monopoles commerciaux sur la drogue!» Michel Clouscard

 

Après la cigarette chez les femmes, la contre-culture et la commercialisation du sperme : les poteux sont devenus les nouveaux idiots utiles du capital. En voilà une victoire [vii]!

Un désastre sociétal

Aurait-on peur de parler de morale dans les torchons de la presse québécoise? Et nous, aurons-nous peur d’analyser les choses sous cet angle?  Le bon, le beau et le vrai seraient-ils devenus des  choses sales et destinées aux moutons ou, au contraire, un luxe réservé aux gens de foi? Sera-t-on caricaturés si on dit tout haut que le pot, c’est mal [viii] ? François billot de Lochner rappelle que «s’interdire de parler de morale, c’est s’interdire de parler du bonheur et du malheur». On a tous une petite voix qui nous dit que quelque chose ne tourne pas rond alors même qu’on vient d’augmenter nos libertés individuelles une nouvelle fois. La question morale se pose et elle est légitime!

Les emplois créés, les malades soulagés, les profits accumulés, les crimes diminués… tout ça n’est que secondaire devant la question qui englobe tout : quel genre de société sommes-nous en train de construire avec ça? Ce qui devient légal dans la loi, demain, sera banal dans les esprits. Nous avions déjà l’indéfendable cigarette et le plus traditionnel alcool ; avions-nous réellement besoin d’un troisième vice?  Puis, demain, devra-t-on tout mettre sur un même pied d’égalité par pur relativisme? C’est ce que le capitalisme cherchera à faire inlassablement pour étendre son marché. Pour ce faire, il s’affranchit de toute règle, de toute norme et de toute morale. Ainsi, pour répondre à la perpétuelle insatisfaction du consommateur névrosé, il rend la pornographie, le jeu, la violence spectacle et la drogue toujours plus abordables, plus accessible. Le désir et maitre et commande les mœurs.

Le pot était-il vraiment une urgence pour nous, le peuple? Considérant que nous vivons une crise intellectuelle sans précédent, n’aurait-il pas été plus judicieux de faciliter l’accès au savoir plutôt qu’à l’herbe? Ironie s’il en est une : alors que la production culturelle québécoise est prolifique, on se ramasse avec une population qui ne lit plus, qui n’écrit plus, ne sort plus au théâtre et ne sait plus rien faire de ses dix doigts. La profusion des marchandises l’a, au contraire, plongée dans une apathie affligeante au point qu’il soit parfois mieux vu de fumer que d’exprimer des idées de bon sens. Oui, parce que fumer, c’est «chill», alors que «s’poser des questions, c’est tellement rabat-joie»!

Quel exemple donnera-t-on au monde? L’exemple d’un peuple égoïste, prisonnier de ses affects et aliéné par son désir.

Le pot n’est pas «le mal» : sa légalisation participe de la décadence de la société libérale.

Mon bat’ : mon bonheur!

La légalisation est symptomatique de l’individualisme caractérisé de la société libérale.  C’est «après moi le déluge et je m’en lave les mains!». Elle a au moins le mérite d’être claire dans sa volonté de satisfaire quelques-uns (les consommateurs) au mépris de la communauté qui, elle, n’y gagne rien.

Ces consommateurs, justement, ont-ils seulement pensé aux autres avant de prôner la légalisation ou se sont-ils contentés de faire ce qu’ils savent faire de mieux : pensez à leur petite personne? Ont-ils seulement pensé aux enfants? J’ai ma petite idée, mais je ne leur en veux pas : penser à soi, c’est ce qu’on sait faire de mieux dans une démocratie élective! Que ces naïfs viennent nous raconter que la légalisation du cannabis n’influencera pas les jeunes et qu’il suffit de «bien les éduquer». On en est plus à un sophisme près!

Si la communauté ne se décide pas à sortir de sa torpeur et de tenir tête aux illusionnistes de la marchandise, nous ne sommes pas au bout de nos peines, c’est moi qui vous le dis.  



[i] Qu’il ne faut plus appeler «marijuana» parce que la gauche bienpensante nous a dit que c’était raciste. …dans la bouche d’un rappeur afro-américain, par contre, ça passe : là, aucun problème ! https://www.youtube.com/watch?v=igtLqhX4BCA
[iii] L’action a pris 413% en un an, passant de 11,71$ à 76,68$, et 85% durant les trois derniers mois précédant la légalisation.

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