jeudi, 14 juin 2018 11:36

Transplantation d'organes : allégorie de l'état des frontières nationales

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Victor Rumilly

«  Oui, Monsieur, oui, Madame, c'est parce que « le discours est dur » que l'efficace en sera douce ; c'est parce que le livre est « amer à la langue », que, plus bas, il sera tonique et guérissant. »

Charles Maurras

 

En 2014, une pétition circulait déjà pour que le don d'organe devienne obligatoire.

Une députée du Parti Québécois a récemment fait la proposition selon laquelle les gens devraient signer leur carte de don d'organe pour ne pas être prélevés de leurs organes. En ce moment, c'est l'inverse. Il faut signer pour donner.

L'indépendance sans frontière

Le corps humain, tout comme la planète, a ses frontières.  C'est pourtant une députée du Parti Québécois, ce parti censé vouloir poser une frontière entre le Québec et le reste du Canada, qui voudrait que la frontière de notre corps soit acquise de facto à une partition au profit d'intérêts étrangers, ceux de l'état. C'est une députée du Parti Québécois qui veut que notre corps appartienne à l'état avant d'appartenir à nous-mêmes. Les intentions ne sont pas mauvaises, mais à trop protéger, le gouvernemaman finira par nous étouffer avant qu'on ait le temps de devenir adulte. 

Voici un texte qui dévoile plusieurs informations qui pourraient aider à ce qu'on en débatte : http://www.les7duquebec.com/7-au-front/votre-corps-appartient-il-a-letat/

Notre corps, ce territoire, cette marchandise

Comme l'écrit Régis Debray dans son petit livre Éloge des frontières  : « La sacralité accordée au corps humain l'empêche de devenir une chose, un produit comme un autre. Et de mettre à l'encan cœurs, reins et foies sur un biomarché spéculatif, pour la transplantation d'organes au plus offrant. »

En octroyant à l'état la primauté du choix de ce qui doit être fait de son corps lors du décès, ne profane-t-on pas la sacralité de ce corps ? La question se pose.

Elle se pose aussi du point de vu du greffé. Veut-on à tout prix se faire greffer un corps étranger ? Une vague de « migrants » dans votre corps, ça vous dit ?

Point de vue d'un greffé

La transplantation est-elle un transhumanisme ?

Je suis l'heureux récipiendaire d'une greffe de rein. Autrement dit, on a appliqué sur moi une version primitive et rudimentaire de transhumanisme. Le transhumanisme ce n'est pas nécessairement de faire de l'homme une machine ; la définition reconnue de cette expression en est une beaucoup plus générale. Il s'agit d'un mouvement qui promeut l'utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour l'amélioration des performances humaines. Jacques Attali nous en livre d'ailleurs une brillante  interprétation https://www.youtube.com/watch?v=twyTTH4ywcQ Je me demande bien pour quelle raison parle-t-on de la « folie » de Trump plutôt que de celle des Attali et compagnie...

L'augmentation de ma « performance » par la greffe vient du fait que je sois vivant plutôt que mort. Si on ne m'avait pas transplanté un organe, je serais peut-être mort ou pas très fort, branché à la dialyse péritonéale.  Il s'agit donc belle bien de transhumanisme. Nous ne sommes pas encore dans Star Wars où Dart Vader survit par un corps qui ne tient que par la mécanique, mais c'est un début. Pour vous montrer à quel point nous ne sommes pas trop loin du transhumanisme faisant de l'homme une machine, notre ancien gérant de caisse nous ventait la puce dans le bras afin de remplacer la carte de débit ou de crédit comme la panacée du progrès qui permettrait de satisfaire les clients de Desjardins.

Abolir les frontières (le système immunitaire) et guérir à tout prix

Les bonnes âmes, Dieu les bénisse, ne peuvent comprendre que porter l'habit d'un missionnaire de la greffe à tout prix n'apporte pas nécessairement le bien là où ils permettent des soins de ce genre. Les greffes sont des colonisations du corps que les colons et les missionnaires transplantent en croyant sauver des vies. D'ailleurs, le taux de sauvetage de vie des transplantations apparaît très élevé.  Et qui sauve des vies est dans son droit le plus légitime d'agir comme il l'entend. Sans mauvaise foi aucune, les frontières du corps sont pourtant bafouées allégrement. 

Régis Debray, dans son Éloge des frontières, met le doigt sur l'incompréhension des frontières géographiques, mais aussi des frontières humaines. Il écrit : « Toute frontière, comme le médicament, est remède et poison. » Ce commentaire sur les frontières n'a aucun sens pour ceux qui ont l'inébranlable volonté de soigner. Comment peut-on être à la fois le remède et le poison en sauvant des vies ? On ne joue pourtant pas avec les frontières sans désorganiser ou sans troubler quelque chose. Il serait difficile d'en vouloir à leur culte de la greffe qu'ils perçoivent comme un progrès puisqu'il se pourrait que je leur doive la vie. Néanmoins, de quelle vie s'agit-il ? Leur Dieu est-il le bon ?

Les frontières du corps humain

Les médicaments antirejets permettent à l'organe de s'intégrer au corps qui le reçoit en endormant le système immunitaire. Endormi, ce système immunitaire, cette sorte d'armée qui défend le corps contre les envahisseurs, laisse l'organe devenir partie intégrante du corps humain. Toutefois, aussitôt le système immunitaire réveillé, les médicaments antirejets avalés sur une base moins régulière, les anticorps rejetteront l'organe, l'attaqueront sans se poser de question. Les docteurs diront que je subis un rejet, que je dois recevoir un nouvel organe. Bien sûr, dans tous les cas, l'organe greffé ne fera jamais totalement partie du corps d'accueil. Que ce soit par une acceptation nonchalante, hypocrite, artificielle, insidieuse de l'organe par l'effet soporifique des médicaments antirejets ou par un combat violent des anticorps, l'organe greffé sera toujours traité en étranger.

« Quand l'on ne sait plus qui l'on est,  on est mal avec tout le monde – y compris avec soi-même. »

Enlevez une frontière et vous en créerez une autre.  Comme le dit Régis Debray : « Quand l'on ne sait plus qui l'on est,  on est mal avec tout le monde – y compris avec soi-même. »  Puisque l'on sait qui l'on est qu'en étant séparé de ce que l'on n’est pas, l'on ressent toujours le besoin de tracer une ligne de démarcation afin de reconnaître qui l'on est. Les expatriés, les immigrants, par exemple, auront beau se dire parfois sans frontière, une part de chauvinisme dépasse souvent de leur jupon et, qu'ils le veuillent ou non, ce chauvinisme marque une frontière entre eux et les habitants de la terre d'accueil.

J'en déduis que le principe est le même pour le corps et que la frontière naturelle qu'on se fait enlever par les médicaments antirejets est remplacée par une autre frontière. Dans mon cas, la frontière ajoutée fut celle invisible, abstraite, décelable seulement avec le recul, entre moi et le reste du monde, principalement entre moi et les bienfaiteurs responsables de la transplantation (je ne parle pas du donateur puisque l'organe venait d'un homme décédé).

Frontière remède et poison, disais-je. Remède, parce que la greffe garde en vie. Poison, parce que ça ne fait que garder en vie... séparé, souvent avec une apparente incohérence, de tous ceux qui aimeraient bien aider de l'extérieur.

Socialiser avec les virus (ou les Jacques Attali)

En raison de l'absorption de médicaments antirejets, le greffé est un être affaibli. Nos bonnes âmes nieront l'affaiblissement. Nous sommes tous égaux après tout. Au mieux, ils ne se rendront compte de rien, car, contrairement à un bras cassé, l'affaiblissement n'apparait souvent qu'à long terme (quand le greffé en est à son 4e rhume de son année, ça commence à paraître), au pire, ils seront perspicaces... et je serai obligé de leur expliquer.  Malheureusement, puisque le greffé est un être affaibli, il est poussé non seulement à accepter l'organe en santé qui sera transplanté, mais aussi à socialiser avec tous les virus qui s'invitent chez lui, jour et nuit, hiver comme été. En résumé, le greffé est obligé d'accepter les Jacques Attali sur son territoire. Son armée étant dans l'incapacité de repousser quelconque étranger parce qu'elle n'impose presque aucune frontière, la majorité de son énergie est vouée à servir, tels une bonne ou un majordome, de manière à ce que le séjour du virus n'en soit pas un d'exaltations de tous les genres. Énerver le virus en l'affrontant de toutes les manières possibles ne ferait que l'échauffer, le déchainer. Un corps doté d'un système immunitaire normal peut bien exciter le virus tant qu'il veut, plus le virus s'excitera, moins il aura l'énergie de durer longtemps dans le combat. Tout ce dont le système immunitaire normal doit se soucier, c'est de ne jamais être dominé au point de se fait mettre KO. Le système immunitaire du greffé lui est toujours dominé par ses adversaires. Sa défense se dessine donc autrement.

Bénéficiaire perpétuel

Bien malgré des talents, des capacités honorables, qui permettraient de mener une bonne vie, le greffé doit se résigner au rôle de bénéficiaire. Le fait que nous soyons tous branchés à l'état me rend un peu moins seul dans cette condition. Mais il demeure davantage de moments durant lesquels ma survie en tant que greffé, ma défense contre les virus, dépend entièrement de la générosité des gens qui ont toute leur santé. C'est d'ailleurs le sort qui attend les cobayes du transhumanisme ou de l'immigration de masse. Bien que la résignation soit de mise - car individuellement nous n'y pouvons rien -, je vous avouerai que cette situation agace énormément. Surtout lorsque la générosité n'est qu'en réalité de la pitié déguisée. Ceux qui sont branchés malgré eux au système (comme dans Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley), malgré le fait qu'ils accomplissent tous leurs devoirs,  devraient comprendre cet agacement.

Après 21 ans de greffe et 26 ans de soins médicaux liés à mon insuffisance rénale et pancréatique, j'en viens au constat que plus on enlève de frontières physiques et géographiques, plus les frontières sont psychologiques et malgré tout nécessaires. On aura beau abattre toutes les frontières, elles seront toujours remplacées, une à une, par d'autres frontières beaucoup moins agréables que celles qui s'imposent d'elles-mêmes. Ces nouvelles frontières, n'en voulez pas à ceux (moi y compris) qui vous les font subir. Notre frontière nous sert de passerelle à un avenir que je souhaite indépendant, loin de toute forme de transhumanisme.

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