mardi, 02 aout 2016 09:50

Je ne suis pas catholique !

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La France va mal. Très mal. Le père Jacques Hamel a été assassiné dans les circonstances ignobles que l’on sait. Mais, lorsque le ministre de l’Intérieur s’adresse à la « communauté catholique » ne sait-il pas qu’il l’injurie en faisant cela ? Non, Monsieur le ministre, je ne suis pas catholique ! Et c’est un catholique qui vous le dit.

Le père Jacques Hamel avait 86 ans. Il ne lui restait plus que quelques années à vivre avant de s’en aller rejoindre la maison du Père. Dans un an, dans trois ans ou dans cinq. Peut-être dans dix, d’ailleurs. Ses funérailles auraient été magnifiques. Les obsèques d’un prêtre ou d’un religieux ne sont jamais empreintes de tristesse. « C’est bien !… Bon et fidèle serviteur : entre dans la joie de ton maître ! »

Quand sœur Fabiola m’a appris le catholicisme

Je me souviens des obsèques de ma grand-tante, à Saint-Jean-de-Bassel, près Saverne. Elle était née le 14 février 1905 à Friedolsheim (Bas-Rhin). Elle avait sombré, en Charente, là où elle enseignait, dans un coma profond. Une fois revenue en Alsace (enfin, en Moselle), elle s’était momentanément réveillée. Elle, la musicienne extraordinaire, l’organiste élève de Messiaen, ancien premier Prix du conservatoire de Bruxelles, pour uniquement chanter les dix-sept strophes du Grosser Gott, wir loben Dich. Elle était sortie du coma, elle avait chanté, elle était morte.

Elle avait aussi, chose assez commune chez un marin moins chez une bonne-sœur, un tatouage sur l’avant-bras droit. J’ai appris que les nazis lui avaient fait. Les singes !

J’avais douze ou treize ans lorsque je l’ai vue, pour la dernière fois, dans son cercueil, au couvent des Sœurs de la Divine Providence. Je la préférais en vie. Elle était très chiante, certes. Mais je la préférais encore vivante. Ce sont des souvenirs d’enfants. C’était un vraie visage de morte, qu’elle présentait. Un visage définitif. On ne s’embarrasse pas de pomponner les bonnes sœurs chez les bonnes sœurs. On a simplement droit à la crudité de la mort. Un bel office. La pleine terre. Et tout cela se fait dans un équilibre subtil de joie et de tristesse.

Moi, j’étais très triste. C’est que je l’aimais bien, n’empêche, la chère-sœur. Et quand j’écris ça, les larmes montent. Nostalgie d’un catholicisme et d’une France que je sens de moins en moins exister. Chaque année que Sœur Fabiola venait chez ma grand-mère, sa frangine, passer les mois entiers de l’été, elle me rapportait des choses incroyables. Et chaque année, je les attendais. Avec une incroyable dévotion. Tout un bric-à-brac fabriqué par l’une ou l’autre des membres de sa Congrégation dans le monde. Des cadeaux qu’elle jugeait inestimables. Ils l’étaient assurément ! Un tableau peint avec les pieds par une bonne-sœur de Madagascar amputée des deux jambes. Une écharpe tricotée par une nonne indienne amputée des deux bras. Et, grand Dieu, voilà où se situe, radicalement, mon catholicisme. Dans des dessins peints avec les pieds par des culs-de-jatte et des écharpes tricotées avec les pieds par une femme qui n’a plus de bras !

Le père Jacques Hamel n’aura pas eu à attendre la fin de son âge : deux « courageuses » brutes l’ont assassiné ce matin alors qu’il célébrait la messe dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Aussitôt connue la nouvelle, les réseaux sociaux se sont parés du hashtag #JeSuisCatholique. Cette manie est d’un ridicule achevé. Sa répétition, au gré des attentats, classe la légitime émotion au rang des troubles obsessionnels compulsifs. Un attentat, un hashtag, on se lave les mains, on se les essuie, on se les relave, on se les essuie à nouveau, on va vérifier si l’on a bien publié le hashtag qu’il faut sur Twitter – une erreur d’attention arrive si souvent ; #JeSuisCharlie ne convient certainement pas pour l’occasion. Le robinet a-t-il bien été coupé ? Vite à l’évier ! et l’on répète l’opération ad libitum.

C’est d’autant plus vrai que ce #JeSuisCatholique ne veut absolument rien dire. Quand le ministre de l’Intérieur et son porte-parole évoquent aujourd’hui un drame qui frappe « la communauté catholique », ils se fourrent le doigt dans l’œil. Nous ne sommes pas au Liban, du moins pas encore : il n’y a pas de « communauté catholique » en France. Sont-ils déjà allés à une messe dominicale ? Ont-ils déjà vu des catholiques prier et communier ensemble dans la même ferveur ? N’y ont-ils pas perçu la diversité des origines culturelles, des extractions sociales et des couleurs de peau ?

C’est que le catholicisme n’est pas historiquement fondé sur une idée culturelle de la « communauté », mais uniquement sur la « fraternité ». Avant que les premiers chrétiens ne découvrent le terme « ekklesia » (assemblée, qui nous donnera le mot « église »), ils s’appelaient eux-mêmes « adelphotès » (fraternité). C’est le cas de l’apôtre Pierre qui n’utilise que le mot « adelphotès » lorsqu’il veut désigner l’Eglise. Jusqu’au Ve siècle, les deux termes seront employés indistinctement, puis ne subsistera qu’un seul terme.

La fraternité contre la communauté

Mais la théologie n’a pas oublié d’où venait l’Eglise : elle est le Corps mystique, mais elle est aussi l’assemblée d’un peuple de frères. Et des frères qui s’unissent dans une même fraternité, non pour des questions d’origine, de classe, de culture, de race, mais parce qu’ils partagent la même foi et la même espérance. C’est là où proprement réside le « génie du christianisme » et c’est là où la France républicaine lui est, aux yeux de l’Histoire, profondément redevable.

Ce soir, je pleure la mort abominable du père Jacques Hamel. Ces brutes l’ont forcé à se mettre à genoux, avant de l’égorger au nom d’Allah, dont il est dit, pourtant, qu’Il est très « miséricordieux »… Tu vois la gueule qu’elle a, Sa sainte miséricorde quand elle s’applique par couteau tranchant sur la gorge d’un vieux prêtre sans défense.

Pour autant, je ne suis pas catholique. Non pas que je refuse de l’être ! J’aimerais bien. Juste un peu. J’ai été baptisé. Je suis croyant et je me reconnais parfaitement dans le Credo. Seulement, je n’ai pas l’impudence de croire que je suis catholique. Pas un « bon catholique », juste un « catholique », c’est-à-dire un homme qui voue sa vie au Sermon sur la montagne(1).

Car c’est une douloureuse tâche que d’essayer de l’être. Et de l’être un peu plus chaque jour. C’était, au fond, la grandiose idée de Bernanos : nous prenons pour une identité ce qui n’est, définitivement, qu’un long et patient travail. Je ne suis pas catholique : j’essaie de l’être. Je ne suis pas un Français : j’essaie de l’être. Je ne suis pas républicain : j’essaie de l’être.

Parce que le monde n’est pas une crèche et que nous ne sommes pas des santons réunis dans une irrémédiable posture. Tout se meut et évolue dans la vie réelle. Les sentiments autant que les allégeances, les identités autant que les raisons. Mais il est une chose que je refuse de tout mon être : les étiquettes. Elles sont faites pour être arrachées, disait le regretté Philippe Muray. Se résoudre aujourd’hui à considérer que le catholicisme n’est plus qu’une identité et que les catholiques ne forment plus qu’une « communauté », cela me révulse au plus haut point.

Être catholique…

Non ! être catholique n’est pas un habitus social. C’est croire que Jésus, le Christ, notre Seigneur, est le fils de Dieu, qu’il a vécu, qu’il est mort sur le bois de la Croix et qu’au troisième jour il est ressuscité d’entre les morts. C’est croire en son message, l’écouter et le lire.

Relisons donc Matthieu (5:44) : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. »

Dois-je aimer les assassins du père Hamel ? Oui, nous apprend l’évangéliste Matthieu. Et saint Jérôme renchérit dans le commentaire qu’il fait de ce passage : « Il en est qui mesurent les préceptes de Dieu à leur faiblesse et non pas à la force, qui fait les saints, et qui regardent ces préceptes comme impossibles. Ils disent qu’il suffit, pour pratiquer la vertu, de ne pas avoir de haine pour ses ennemis, mais que de les aimer c’est commander plus que ne peut la nature humaine. Qu’ils sachent donc que notre Seigneur ne commande pas des choses impossibles, mais parfaites. Et n’est-ce pas ce que fit David à l’égard de Saul et d’Absalon ? Le saint martyre Etienne n’a-t-il pas prié pour ceux qui le lapidaient ? Saint Paul n’a-t-il pas voulu être anathème à la place de ses persécuteurs ? N’est-ce pas ce que Jésus enseigne et ce qu’il fit lui-même lorsqu’il dit : « Mon Père, pardonnez-leur ? » »

Si je puis aisément considérer les assassins du père Jacques Hamel comme des ennemis, comment trouver en moi la force suffisante pour ne point les haïr, mais au contraire les aimer ? Cette perfection-là que nous commande le Christ est humainement insoutenable. C’est pourtant elle qui doit régler la vie de tous ceux qui ont choisi de le suivre. Être chrétien n’est franchement pas un métier facile. Mais ce n’est pas une identité. Et cela ne le sera jamais.

Quand ça le deviendra, nous ne serons plus alors que des « sépulcres blanchis » et le Christ devra revenir à nouveau pour nous apprendre ce qu’est un fils de Dieu.

Source : tak.fr

Commentaires   

 
0 #1 Francis 02-08-2016 18:33
Un pavé dans la marre! L'auteur a raison d'insister sur le fait que n'est pas catholique qui veut et que ce n'est pas une simple identité. La fréquentation des sacrements, dont la Sainte Messe, font partie intégrante d'un catholicisme bien vécu. Il faut tout simplement vivre selon l'Évangile de Notre-Seigneur Jésus Christ dont le résumé se trouve dans les 10 commandements.
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