mercredi, 01 juillet 2015 08:26

Au XXe siècle, Berlin a été le roi de la dette puis annulation de celle-ci en 1953 : le secret du miracle économique allemand

Evaluez cet article
(0 vote)

Au cours du siècle dernier, l’Allemagne s’est trouvée trois fois en faillite. Si elle a pu se relever, c’est entre autres au détriment de la Grèce, expliquait l’historien de l’économie Albrecht Ritschl en 2011 dans un entretien avec l'hebdomadaire de Hambourg.

L’Allemagne joue les donneuses de leçons sur la question de savoir s’il convient d’accorder de nouvelles aides à la Grèce.

Le gouvernement se montre inflexible sur le mode : “Vous n’aurez de l’argent que si vous faites ce que nous vous demandons.” Cette attitude est-elle justifiée ?Albrecht Ritschl Non, absolument pas. Dans toute l’histoire récente, c’est l’Allemagne qui a connu les pires faillites d’Etat, au XXe siècle. Sa stabilité financière et son statut de bon élève de l’Europe, la République fédérale les doit uniquement aux Etats-Unis, qui, aussi bien après la Première Guerre mondiale qu’après la Seconde, ont renoncé à des sommes considérables. Malheureusement, on a un peu trop tendance à l’oublier.

Que s’est-il passé exactement ?
Entre 1924 et 1929, la république de Weimar a vécu à crédit et a même emprunté auprès des Etats-Unis l’argent dont elle avait besoin pour payer les réparations de la Première Guerre mondiale. Cette pyramide s’est effondrée pendant la crise de 1931. Il n’y avait plus d’argent. Les dégâts ont été considérables aux Etats-Unis et l’effet a été dévastateur sur l’économie mondiale.

Il s’est produit la même chose après la Seconde Guerre mondiale.
Sauf que les Etats-Unis ont veillé à ce que l’on n’exige plus de l’Allemagne des réparations aussi exorbitantes. A quelques exceptions près, toutes les demandes ont été renvoyées à une future réunification des deux Allemagnes. C’est véritablement ce qui a sauvé l’Allemagne, cela a été le fondement du miracle économique qui a commencé dans les années 1950. Mais les victimes de l’occupation allemande ont dû renoncer aux réparations, y compris les Grecs.

Quelle a été l’ampleur des défauts de paiement de l’Etat allemand ?
Si l’on prend la puissance économique des Etats-Unis comme point de référence, le défaut allemand des années 1930 a eu autant d’impact que la crise financière de 2008. En comparaison, le problème de la Grèce est minime. Seul le risque de contagion à d’autres pays de la zone euro pose problème.

La République fédérale passe pour être un modèle de stabilité. Combien de fois l’Allemagne a-t-elle fait faillite, au total ?Cela dépend du mode de calcul. Rien qu’au cours du siècle dernier, au moins trois fois. Après les premiers défauts de paiement, dans les années 1930, les Etats-Unis ont consenti une remise de dette considérable à la République fédérale, en 1953. A partir de là, l’Allemagne s’est portée comme un charme pendant que le reste de l’Europe se saignait aux quatre veines pour panser les plaies laissées par la guerre et l’occupation allemande. Même en 1990, le pays s’est retrouvé en situation de non-paiement.

Pardon ? Un défaut ?
Oui, le chancelier d’alors, Helmut Kohl, a refusé d’appliquer l’Accord de Londres de 1953 sur les dettes extérieures de l’Allemagne, qui disposait que les réparations destinées à rembourser les dégâts causés pendant la Seconde Guerre mondiale devaient être versées en cas de réunification. Quelques acomptes ont été versés. Mais il s’agissait de sommes minimes. L’Allemagne n’a pas réglé ses réparations après 1990 – à l’exception des indemnités versées aux travailleurs forcés. Les crédits prélevés de force dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale et les frais liés à l’occupation n’ont pas non plus été remboursés. A la Grèce non plus.

Contrairement à 1953, il s’agit moins aujourd’hui d’accorder une remise de dette à la Grèce que d’étirer l’échéancier du remboursement. Peut-on dire que le pays est menacé de faillite ?
Absolument. Un pays peut faire faillite même s’il n’est pas complètement fauché. Tout comme en Allemagne dans les années 1950, il serait illusoire de croire que les Grecs pourront s’acquitter seuls de leur dette. Aujourd’hui, il faut fixer le volume des pertes auxquelles doivent consentir les créanciers de la Grèce. Et, surtout, il s’agit de savoir qui va payer.

Et le premier des payeurs devrait être l’Allemagne…
En résumé, oui. Nous avons été très inconséquents – et nos industries exportatrices s’en sont bien trouvées. Personne en Grèce n’a oublié que la République fédérale devait sa bonne forme économique aux faveurs consenties par d’autres nations. Les Grecs sont parfaitement au courant des articles hostiles à leur égard parus dans les médias allemands. Si le vent tourne dans le pays, de vieilles revendications liées aux réparations de guerre pourraient refaire surface, y compris dans d’autres pays européens. Et si l’Allemagne se trouve contrainte de les honorer, nous y laisserons notre chemise. En comparaison, le renflouement de la Grèce est plutôt une bonne nouvelle. Si nous écoutons les boniments dont on nous abreuve et si nous continuons à jouer les grippe-sous, le cigare aux lèvres, nous sommes condamnés tôt ou tard à voir resurgir de vieilles ardoises.

Quelle solution serait actuellement préférable pour la Grèce – et l’Allemagne ?
Les faillites qu’a essuyées l’Allemagne au siècle dernier nous enseignent que le plus raisonnable serait de consentir une remise de dette généreuse. Ceux qui ont prêté de l’argent à la Grèce seraient alors contraints de renoncer à une bonne part de leurs créances. Certaines banques n’y survivraient pas, et il faudrait alors mettre sur pied de nouveaux programmes d’aide. Cela pourrait revenir cher à l’Allemagne, mais, d’une manière ou d’une autre, il nous faudra mettre la main à la poche. Et puis la Grèce se verrait ainsi donner une chance de prendre un nouveau départ.

* Le Bonnet des Patriotes pense à un éclatement de la zone Euro et donc à une sortie de la Grèce. Seul le peuple décidera, lors du référendum, de son avenir. La souveraineté des peuples est notre raison de militer.

Source : courrierinternational.com

 

Pour Jacques Attali, pas de doute. Le système financier actuel, artificiellement maintenu en vie grâce à des bulles purement spéculatives, éclatera au plus tard en 2015 : « Il n’y aura alors plus d’autres solutions que de payer la note ; en clair, de rembourser les dettes ou de les annuler ».

Pour Attali et les banques, toujours pas de doute, il faudra rembourser plutôt qu’annuler, c’est-à-dire faire en sorte que les populations, au détriment de leur vie présente et future, règlent l’ardoise que leur laissent les spéculateurs :

En mettant à contribution les détenteurs finaux des créances, c’est-à-dire les épargnants, qui verront leur épargne spoliée, non par l’inflation, mais par une ponction sur leurs comptes, comme cela fut le cas à Chypre (ce que permettent explicitement les accords récents sur l’Union Bancaire, dits de ’’bail in’’, même si c’est encore peu connu)…

Pour Solidarité & Progrès, dans le cadre d’un retour à un véritable système de crédit qui se situe à l’opposé du monétarisme actuel (pour Attali tout crédit est un impôt futur...), c’est l’option d’une annulation totale ou partielle de la dette qui s’impose.

« Pratique courante de régimes totalitaires ! Impensable pour un État moderne et civilisé », me diriez-vous ?

La conférence de Londres de 1953

Faux, je vous réponds. Car le 27 février 1953, à l’issue de la conférence organisée à Londres à cet effet, la République fédérale allemande a obtenu, avec le consentement de 21 de ses créanciers (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, etc.), une réduction de sa dette « d’une ampleur rare en Europe au XXe siècle » de 62,6 %. Partant d’un montant total initial de 38,8 milliards, les dettes d’avant et d’après-guerre de l’Allemagne ont été ramenées à moins de 14,5 milliards de Deutschemark.

Aujourd’hui, lorsqu’on connait les conséquences mortifères des conditionnalités imposées par la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) aux pays membres de la zone euro à qui elle vient à la rescousse, le ton de « l’accord sur les dettes extérieurs allemandes » de 1953 est tellement loin de la philosophie financière actuelle qu’il y a de quoi être surpris :

Désireux d’écarter tout obstacle aux relations économiques normales entre la République fédérale d’Allemagne et les autres pays, et de contribuer ainsi au développement d’une communauté prospère de nations (…)

 L’économie physique d’abord

Pour s’assurer que l’économie physique de l’Allemagne puisse réellement être relancée, les créanciers font alors des concessions majeures aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une simple réduction de dette. Contrairement aux plans d’aide de la zone euro pour la Grèce ou le Portugal aujourd’hui, on part du principe que l’Allemagne doit être en condition de rembourser une partie de sa dette tout en préservant un niveau de croissance élevé et en améliorant en permanence le niveau de vie de la population.

Eric Toussaint, du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM)précise qu’avec l’accord de 1953, les créanciers acceptent :

  1. Que l’Allemagne puisse suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources ;
  2. Que l’Allemagne puisse rembourser dans sa monnaie nationale, le deutschemark, l’essentiel de la dette qui lui est réclamée. A la marge, elle rembourse en devises fortes (dollars, francs suisses, livres sterling…) ;
  3. Que l’Allemagne puisse réduire ses importations alors qu’au début des années 1950 le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations). Pour combler les manques, elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs propres exportations vers ce pays. Or, 41 % des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66% ;
  4. Que l’Allemagne puisse vendre ses produits à l’étranger et stimuler ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive ;
  5. Que la capacité de paiement de l’Allemagne, de ses débiteurs privés et publics, ne soit pas réduite à la simple capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais que l’on tienne compte 1) de la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2) de la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3) des conditions de commerce futures probables ; 4) des mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un surplus pour les exportations.
  6. Qu’en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands soient compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres) ;
  7. Que le service de la dette soit fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et des revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5 %. Cela veut dire que l’Allemagne ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutschemarks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots monétiser la dette ;
  8. Qu’à titre exceptionnel on applique une réduction drastique des taux d’intérêts qui oscillent entre 0 et 5 % ;

A cela il faut ajouter les dons en dollars des États-Unis : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 et le 30 juin 1952 (soit environ 10 milliards de dollars aujourd’hui) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars d’aujourd’hui) entre 1954 et 1961, principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Voilà en grande partie le secret du « miracle économique » de l’Allemagne de l’après-guerre, miracle auquel tous les pays du monde, si le besoin se manifeste, doivent avoir droit.

 Conclusion

Pour nous, cette histoire :

  • Démontre que les grandes banques et les créanciers ne manquent ni de savoir, ni de compétence, pour résoudre la « crise de la dette » qui plonge nos sociétés dans la misère, le chaos et la guerre ;
  • Révèle que tout choix économique est un choix politique. En 1953, il s’agissait, dans le cadre de la « Guerre froide » de construire une Europe et une Allemagne fortes pour contrer l’influence de l’URSS. Le choix des puissances créancières fut alors avant tout un choix géopolitique ;
  • Fait craindre qu’aujourd’hui les puissances créancières ne soient pas devant« une crise » dont elles ignorent la solution, mais qu’elles aient fait un autre choix, tellement horrible qu’elles en dissimulent les véritables objectifs : celui de détruire et de dépeupler les pays ciblés, par les politiques d’austérité draconienne du FMI, de la Troïka ou par des rafles organisés par les « fonds vautours » agissant comme des pirates au service de « sa Majesté ».

« La seule espérance qui reste », écrivait Jean Jaurès à la veille de la Première guerre mondiale, « c’est précisément l’immensité même de la catastrophe dont le monde est menacé. Elle est si horrible qu’on hésite encore à croire que les plus fous ou les plus scélérats osent la déchaîner. »

Source : solidariteetprogres.org

Ajouter un Commentaire

Veuillez noter que votre commentaire n'apparaîtra qu'après avoir été validé par un administrateur du site. Attention : Cet espace est réservé à la mise en perspective des articles et vidéos du site. Ne seront donc acceptés que les commentaires argumentés et constructifs rédigés dans un français correct. Aucune forme de haine ou de violence ne sera tolérée.


Code de sécurité
Rafraîchir