mercredi, 10 juin 2015 09:12

Pourquoi n’y a-t-il pas de révolution dans nos rues ?

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Compte tenu des multiples formes d’asservissement volontaire dont nous sommes les artisans, mais aussi, surtout, les victimes, comment se fait-il qu’il n’y ait pas de révolution dans les rues de Montréal, de New York ou de Londres ? Pourquoi continuons-nous à élire des gouvernements qui encouragent le copinage ou la corruption, à déposer nos maigres économies auprès de banques qui enrichissent leurs dirigeants de manière indécente, et à acheter des marchandises fabriquées par des hommes et des femmes qui travaillent dans des conditions inhumaines ?

 

Les révolutions sont généralement portées par des peuples affamés ou opprimés par un pouvoir tyrannique, ou à tout le moins considéré comme illégitime. Mais ces conditions n’expliquent pas les causes profondes de la révolution ni, inversement, l’acceptation résignée de situations objectivement injustes, avilissantes et déshumanisantes.

C’est qu’il ne suffit pas d’être affamé ni sous le joug d’un régime tyrannique pour désirer faire la révolution. De nombreux peuples ont survécu et se sont reproduits en de pareilles conditions sans se révolter, l’Histoire le démontre largement. Quelles sont, alors, les conditions nécessaires à un mouvement social remettant en question les fondements du pouvoir en place et aboutissant à son renversement complet ? Il n’est pas obligatoire que ces conditions conduisent à une révolution comme celles que je viens d’évoquer. Il suffit qu’elles permettent la transformation profonde du partage des pouvoirs dans la communauté politique.

Dans les années 1960, qui allaient voir éclore de nombreux mouvements de contestation radicaux – au sens propre, à savoir, s’attaquant à la racine des problèmes – le politologue James C. Davies proposait une explication. La révolution pourrait apparaître lorsque les attentes du peuple s’écartent trop de ce qu’il obtient concrètement. Autrement dit, le mécontentement populaire explose et se transforme en action politique révolutionnaire lorsque les promesses faites par les détenteurs du pouvoir sont trop éloignées des aspirations de la masse. Si la révolution ne plane pas sur nos sociétés présentement, ce serait parce que, en toute logique, le message du pouvoir continue de bien passer : le « rêve américain » conserve son efficacité. Steinbeck expliquait l’absence de révolte du peuple américain par le fait que les pauvres ne considèrent pas qu’ils appartiennent à une classe inférieure. Ils se voient plutôt comme des millionnaires en puissance, frustrés temporairement de ne pas l’être. C’est parce que nous avons intégré cette rhétorique idéologique de l’enrichissement possible (l’éventualité de gravir l’échelle sociale) que nous continuons à accepter le fait que nous ne bénéficions pas concrètement de l’enrichissement collectif. Pire : nous assimilons sans nous y opposer ni la remettre en question la rhétorique d’inévitabilité et de rationalité des politiques d’austérité néolibérales. Ce faisant, le discours des puissants devient le nôtre et nous abandonnons toute velléité d’opposition radicale à ce qu’il représente d’oppression pour nous.

Au final, nos milliardaires cherchent tout de même à conserver l’ordre établi, mais d’une manière à ce que le peuple n’en souffre pas trop, question que les fourches et les faux ne sortent pas dans les rues.

De ce point de vue, c’est probablement du côté des détenteurs du pouvoir que nous devons diriger notre regard afin de savoir si une révolte, voire une révolution, couve sous les braises d’un mécontentement social exprimé de manière décousue. Lorsque Warren Buffett, l’un des hommes les plus riches de la planète, donne une grande partie de sa fortune à des œuvres caritatives et affirme qu’il est indécent que son taux d’imposition effectif – merci à ses fiscalistes – soit inférieur à celui de la plus modeste de ses employées de bureau, ce n’est peut-être pas sa grandeur d’âme ni sa générosité qui méritent d’être soulignées, mais plutôt sa peur d’un ressentiment populaire qui pourrait éventuellement se transformer en velléités de changements révolutionnaires des structures du pouvoir économique et politique telles que nous les connaissons.

Un autre milliardaire, Nick Hanauer, qui a notamment investi des sommes importantes dans Amazon à ses tout débuts, a écrit, en juillet 2014, un texte percutant à cet égard dans le magazine Politico, au titre tout aussi évocateur : « Les fourches s’en viennent… contre nous, ploutocrates ». Il met en lumière par cette image que le peuple révolté pourrait – devrait, selon toute vraisemblance – sortir dans la rue armé de fourches et d’autres armes pour attaquer les puissants dont le milliardaire fait partie. Il affirme même que les États-Unis sont devenus de moins en moins une société capitaliste, mais de plus en plus une société féodale : « À moins de changer radicalement nos politiques publiques, la classe moyenne disparaîtra et nous retournerons à la fin du XVIIIe siècle français ». C’est pourquoi notre milliardaire, M. Hanauer, en appelle – de manière étonnante – à ce que l’État mette en place des politiques publiques de relance économique et de soutien aux pauvres et à la classe moyenne, invoquant à cet égard le New Deal de Roosevelt.

Au final, nos milliardaires cherchent tout de même à conserver l’ordre établi, mais d’une manière à ce que le peuple n’en souffre pas trop, question que les fourches et les faux ne sortent pas dans les rues.

Source : moutonnoir.com

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