mardi, 16 janvier 2018 11:26

Catharisme et Kabbale (partie 2)

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1ere partie ici

5 Relations entre juifs et cathares

Malgré toutes ces conditions favorables à leur épanouissement, l'étude d'éventuelles in-fluences mutuelles entre juifs et cathares n'a pas encore trop intéressé la recherche mo-derne. Cela malgré le fait que le Catharisme ait poussé des racines et se soit développé au sud de la France et au nord de l'Espagne aux 12 ème et 13 ème siècles ; dans ces régions existaient d'importantes communautés juives et se plaça à la même époque les débuts de la Kabbale juive en tant que phénomène historique : c'est vers 1150 qu'est fixée par écrit, en Provence, la Kabbale (Isaac l'aveugle). Les chercheurs de notre époque tant du do-maine des cathares que du domaine des kabbalistes on ignoré les allégations des contemporains des uns et des autres. Même les spécialistes du Catharisme qui, comme Arno Borst, ont analysé les influences du temps et du lieu et les ont jugées dominantes (à côté de l'influence des bogomiles), n'ont pas examiné la possibilité d'une influence mu-tuelle entre cathares et kabbalistes. Pour autant que nous sachions, E. Delaruelle et R. Nelli sont les seuls à avoir pressenti cette possible influence lorsqu'ils soulignent les activi-tés de ces deux courants de pensée à la même époque et dans le même environnement géographique et culturel, mais ils n'ont pas poussé leurs investigations pour étayer leur hypothèse.

6 La rue de la Juiverie et la rue des Bonshommes à St Gilles du Gard

Afin d'illustrer cette proximité géographique, il me semble opportun de mentionner ici une information peu connue. Elle a le mérite de projeter une lueur sur un aspect de la cité bien aimée des Comtes de Toulouse, avant la croisade contre les Albigeois. Il s'agit de Saint-Gilles du Gard dans le Languedoc, ville dont les Comtes de Toulouse tiraient leur origine à tel enseigne qu'ils s'octroyaient comme premier titre, avant tout autre, celui de Comte de St Gilles. Les rues les plus proches de la cour de la mairie portaient, au Moyen âge, des noms signi-ficatifs qui se passeraient presque de commentaires. La rue de la juiverie et la rue des bonshommes, parallèles et peu écartées l'une de l'autre, donnaient sur ce qui fut peut-être (si l'on en croit toujours la tradition orale) l'une des plus larges entrées du château comtal. Dans la rue de la juiverie, qui a conservé son nom, se trouverait des traces de l'ancienne synagogue. Il tombe sous le sens que les juifs de Saint-Gilles avaient leur habitat dans la rue de la juiverie. La rue des bonshommes n'a pas conservé son nom ; selon la logique la plus élémentaire, il conviendrait de dire, aussi, que les cathares ou bonshommes avaient élu domicile dans la rue qui portait leur nom. Aucune information écrite n'est parvenue jus-qu'à nous sur la place qu'occupaient les cathares dans Saint-Gilles. Il est permis seule-ment de supposer, grâce à un tel détail, que leur présence devait être bien tolérée, non seulement de la part des habitants, mais en outre de la part des Comtes.

Le simple fait que les cathares avaient leur rue est l'indication qu'ils constituaient peut-être un groupe assez fermé. Enfin, et ce n'est pas là le plus mince des arguments, la rue des bonshommes se trouvait dans le voisinage immédiat de la rue de la juiverie. Est-il besoin de rappeler que de tout temps et dans toutes les agglomérations, les juifs eurent leur pro-pre quartier formant une colonie autour de leur synagogue ? Sans apporter l'ombre d'une nuance péjorative au terme « marginal », il est tentant de dire que la présence des bons-hommes cathares paraîtrait on ne peut plus indiquée et naturelle dans la partie de la commune où résidaient les juifs, « marginaux » malgré leurs privilèges, puisqu'ils prati-quaient une religion minoritaire dans une cité où les catholiques dominaient plus que nulle autre part d'écrasante façon.

7 La recherche textuelle sur les rapports entre juifs et cathares

Parmi les chercheurs sur la Kabbale, Gershom Scholem affirme qu'on ne peut prouver formellement l'existence d'une interdépendance entre Catharisme et Kabbale, pas plus qu'on ne peut la nier ; mais tout compte fait, il n'admet pas cette influence. II semble qu'on doit chercher l'origine de ce refus de la recherche moderne d'accepter une influence réci-proque entre cathares et kabbalistes dans le fait qu'on a généralement attribué aux catha-res ce que Gershom Scholem a appelé « l'antisémitisme métaphysique ». Cette attribution par les chercheurs est due au fait qu'il était généralement entendu que tous les cathares avaient nié l'Ancien Testament le considérant comme la doctrine du Dieu mauvais. Or cette opinion est erronée. Une lecture nouvelle des sources anti-cathares et surtout des écrits cathares qui nous sont parvenus, prouve sans conteste que l'Ancien Testament n'a pas été refusé par tous les cathares. En effet, les dualistes dits absolus en ont accepté la plupart des livres, et un courant parmi eux l'a même accepté dans sa totalité. Quant à l'opinion selon laquelle les cathares dits mitigés, dans leur totalité et tout au long des siècles, auraient refusé la plu-part des livres de l'Ancien Testament, elle est contredite par un texte écrit en provençal et identifié comme authentiquement cathare : il s'agit d'une glose cathare sur le Pater Noster dans laquelle on trouve cités comme autorités, des versets d'Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée, Michée, Malachie, des Psaumes, des Proverbes, de Job, du Cantique des Canti-ques, des Lamentations, de Daniel et deux versets du Deutéronome. L'acceptation d'une partie des livres de l'Ancien Testament et des Prophètes par les cathares mitigés se mani-feste également dans les additions et changements qu'ils apportent à deux écrits légen-daires déjà reconnus par les bogomiles et qu'ils acceptent eux aussi : la Vision d'Isaïe et la Cène secrète. De la version populaire de la Vision d'Isaïe répandue parmi les cathares languedociens, on peut se faire une idée à travers l'un des témoignages déposés devant le tribunal de l'Inquisition. Le témoignage dit ceci :  « Un cathare avait des doutes concernant sa foi. Un ange lui apparut, le prit sur son épaule et le porta vers les cieux. Là ils passèrent d'un ciel à l'autre et, dans chacun de ces cieux, le cathare voulut rendre hommage au Seigneur du lieu, ce qui fut interdit par l'ange jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au 7 ème ciel. Au 7 ème ciel, l'ange lui ordonna de rendre hommage au Père Saint de ce ciel, car c'était le Père Saint du peuple d'Israël. Les habitants de ce ciel chantaient les hymnes de Sion mieux que les habitants de tous les autres cieux ».  Terminant sa déposition, le témoin ajoute qu'il a entendu dire par les hérétiques que se-ront sauvés non seulement les esprits descendus du ciel mais tout le peuple d'Israël. Nous aurons à revenir sur cette allusion aux hymnes de Sion et au véritable Israël qui va être sauvé car ils sont deux des nombreux points communs entre les cathares et les qaraïtes, une secte juive qui prit naissance au 9 ème siècle et dont la présence est encore attestée au 12 ème siècle sur la même aire géographique que le Catharisme, d'Asie Mineure jusqu'en Espagne.

Autre remarque : il n'y a pas dans la théologie cathare de position claire envers le Ju-daïsme comme il en existe dans la théologie catholique. La seule source dans laquelle soit mentionnée la position cathare envers les juifs est constituée par les témoignages dépo-sés au Tribunal de l'Inquisition, témoignages qui nous renseignent non pas sur la théolo-gie cathare, mais sur la foi populaire répandue parmi les cathares. Dans certains de ces témoignages, les cathares refusent totalement la doctrine du Judaïsme, apportée par le Diable, dans d'autres ils considèrent simplement que cette doctrine est basée sur une er-reur. Il y a une mention des juifs dans un document authentiquement cathare intitulé « L'Eglise de Dieu ». Ce texte est une apologie qui accompagnait la glose du « Notre Père » dans le manuscrit de Dublin. Tout un chapitre est consacré à dénoncer les méfaits de l'Eglise de Rome comparée à  « un loup parmi les brebis et les chèvres car elle s'efforce de tyranniser les païens, les juifs et les gentils ; et surtout, elle persécute et met à mort la Sainte Eglise du Christ, laquelle souffre tout en patience, comme le fait la brebis qui ne se défend pas du loup ». Dans ce texte l'allusion est claire : les brebis sont les cathares et les chèvres sont les païens, les juifs et les gentils. Tout comme les cathares ils sont persécutés mais ne sont pas de la même filiation que ces derniers. Ici la différence n'implique pas le rejet. A la lumière de tout ceci, il ne semble pas qu'il y ait lieu de repousser à l'avance la possibi-lité d'une influence réciproque entre cathares et kabbalistes. Il serait intéressant à ce pro-pos de procéder à une comparaison textuelle entre écrits cathares et écrits kabbalistes. C'est ce qu'a fait Shulamith Shahar, universitaire à Tel-Aviv, avec le Sépher Ha Bahir (le livre de la clarté) et une œuvre d'Abraham Aboulafia.

8 Les contacts d’Abraham Aboulafia

Comme nous l'apprend son autobiographie, Abraham Aboulafia est né à Saragosse en 1240 et a passé son enfance et sa jeunesse à Tudèle en Navarre ; au cours de ses péré-grinations, il vécut quelques années en Grèce et en Italie puis, rentré en Espagne, il s'ins-talle à Barcelone. Comme nous le savons, il existait des centres cathares en Grèce et en Italie et quant au Nord de l'Espagne, c'est un fait connu que le voisinage avec le Langue-doc était plus que géographique et politique : le climat spirituel était très proche. Des cen-tres cathares se trouvaient dans cette région, des réfugiés cathares passaient de Langue-doc en Navarre, en Catalogne et en Aragon aux 13 ème et 14 ème siècles. Tout comme le Catharisme, la Kabbale juive s'est répandue au 13 éme siècle depuis les centres du Languedoc vers le Sud, en direction de la Catalogne, de Gérone et Barcelone, et des contacts étroits existaient entre communautés languedociennes et catalanes. II est intéressant de noter qu'Aboulafia lui-même parle de ses contacts avec des mystiques non juifs. Il écrit qu'il en trouva parmi eux plusieurs qui croyaient davantage en Dieu que les juifs à qui Dieu l'avait envoyé en premier. En deux endroits, Aboulafia parle de ses rapports avec ces mystiques non juifs. Une fois, relate-t-il, il s'entretint avec eux des trois méthodes d'interprétation de la Torah (littérale, allégorique et mystique), et il remarqua leur accord mutuel quand il conversa avec eux d'une manière confidentielle : « Il n'y a aucun doute, dit-il, qu'il y a parmi eux des savants qui connaissent ce mystère ; ils eu-rent des entretiens secrets avec moi à ce sujet, et ils me révélèrent que c'était là leur opinion, sans aucun doute ; je jugeais alors qu'ils faisaient partie des « pieux », parmi les gentils ; il ne faut pas faire attention aux paroles des imbéciles de n'importe quelle nation, car la Torah ne fut donnée qu'aux maîtres du savoir ».

Une autre fois, il parle d'une « disputatio » (controverse ou débat) avec un savant chrétien auquel il s'était lié d'amitié et à qui il avait inspiré le désir de connaître le Nom de Dieu : « A partir de ce jour, dit-il, il fit le vœu d'accepter de moi tout ce qui concerne les mystères de la Torah ; il se lia d'amitié avec moi et j'ai fixé dans son cœur la flèche du désir de connaître Dieu. Il est arrivé à reconnaître que la vérité est dans Moïse et dans sa Torah. Il ne faut pas dire plus de ce gentil ».

9 Similitudes d’idées entre Kabbale et Catharisme

II n'est pas possible dans un tel exposé de relever tous les textes dans lesquels il y a une similitude d'idées entre Kabbale et Catharisme. Ceci fait l'objet d'un long travail en cours, mais nous pouvons d'ores et déjà en souligner les lignes essentielles. Au 13 ème siècle, certains auteurs – juifs et chrétiens – ont démontré l'existence de rela-tions, d'influences et de similitudes entre les premiers kabbalistes du Sud de la France et les hérétiques cathares ou albigeois. Ainsi Rabbi Asher ben David écrit-il à propos des premiers kabbalistes : « Ils s'imaginaient dans leur cœur qu'ils croient en deux principes », et le moine espagnol Luc de Tuy écrit de son côté au milieu du 13 ème siècle, à propos des cathares : « Les hérétiques simulent perfidement les juifs ». II faut rappeler ici que le terme « perfide » pour désigner les juifs est repris de la liturgie de la semaine sainte où, parmi les prières solennelles, l'une d'elle était destinée à la conversion des « perfides juifs ». Chez Aboulafia on trouve les mêmes exigences de haute moralité et de fermeté de carac-tère, quand il accepte d'initier des disciples à sa Kabbale, que celles en vigueur chez les cathares. Tout comme ces derniers, la tendance à l'ascétisme était très poussée chez lui, ce qui fut aussi le cas dans d'autres groupes juifs du 12 ème siècle dont nous aurons à re-parler. Une idée qui se trouve dans les commentaires d'Aboulafia aussi bien que dans les écrits cathares est celle de la réincarnation expliquée à travers des mythes ; il faut rappeler que le mot mythe signifie avant tout une parole exprimée dont dérivent entre autres les idées de conseil, d'ordre, de prescription, de résolution, de décision et de projet. Or c'est bien dans ce sens là que les idées sur la réincarnation sont développées par Aboulafia et les cathares. Mais ce qui semble bien être le résultat de leur influence réciproque c'est la mé-thode d'interprétation de la Torah qu'il développe dans son ouvrage « les 7 voies de la Torah ». Le sens général de chacune des voies est semblable à celui de chacune des « 7 substances » décrites dans la glose du Notre Père cathare. Ces deux textes décrivent ce qu'est l'Etre ou le développement en 7 étapes de la conscience de l'Etre. Ils contiennent tous deux une ontologie, une véritable science de l'Etre. Cette étude de la Torah se déroulait chez les juifs du Moyen âge dans les mêmes condi-tions d'ascétisme que l'étude de l'Etre chez les cathares. Les traits que ce phénomène a de commun avec le monachisme chrétien, d'une part, et la condition des parfaits cathares et des ascètes juifs, d'autre part, saute réellement aux yeux. Ainsi, chez les juifs de cette époque, nous entendons parler de plus en plus en France, et surtout dans le Midi, de doc-teurs surnommés ha-parush l'ascète, ou ha-nazir, le naziréen. Nous possédons l'exacte définition de ces notions dans un texte qui a été composé dans ces régions au début du 13 ème siècle ou tout au plus quelques années auparavant :  « On installe des savants qui ont à charge de s'occuper sans relâche de la Torah, afin de faire accomplir par la communauté le devoir d'étude de la Torah, et afin que le règne du ciel ne su-bisse aucun détriment. Perushim [littéralement : qui sont détachés] est le nom de savants qui se vouent exclusivement à l'étude de la Torah ; on les appelle dans le langage de la Mishna Pe-rushim et dans le langage de la Bible, Nezirim... et le détachement [des affaires du monde] conduit à la pureté ».

De cette détermination, il ressort que cette institution, en France, a un point commun avec le mouvement ascétique de « Ceux qui portent le deuil de Sion », Abeley Sion, qui était répandu, de nombreux siècles plutôt, au Proche-Orient et notamment en Palestine ; le voyageur Benjamin de Tudèle en avait encore trouvé des vestiges à Jérusalem au 12 ème siècle, en Arabie du Sud et même en Allemagne. Or nous retrouvons cette référence à Sion dans les textes cathares qui citent le Psaume 137 : « Sur les rives des fleuves de Babylone, là nous nous assîmes, et nous pleurâmes au souvenir de Sion ». Rappelons ici le témoignage devant le tribunal de l'inquisition concernant les habitants du 7 ème ciel qui « chantaient les hymnes de Sion mieux que tous les habitants de tous les au-tres cieux ». Une autre déposition de Pierre Maury devant l'inquisiteur Jacques Fournier au sujet de Pierre Autier, l'un des tout derniers « parfaits » cathares, se réfère explicite-ment à Sion. Un autre exposé du même récit, donné lors d'une réunion de croyants à Ar-ques dans l'Aude en 1300, précise que les esprits descendus du ciel sont tristes et affligés sur la terre, ce qui est justement l'état de « Ceux qui font le deuil de Sion ». L'autre groupe ascétique qui présente les mêmes caractéristiques que les cathares et les Abeley Sion est celui des qaraïtes. Dans leur Commentaire des Petits Prophètes, ils dési-gnaient les « Pauvres » ou les « Humbles » comme étant les « Parfaits » et « Ceux qui font le deuil de Sion ». Mais comme il est attesté que les qaraïtes ont hérité d'une partie de la littérature essénienne, il n'est donc pas étonnant de retrouver chez eux la même terminologie exprimant les mêmes idées ; cela est prouvé par le rouleau des Psaumes de la grotte 11 de Qumram qui contient un hymne que l'un des éditeurs a intitulé « Hymne à Sion ». Tout comme les cathares et les qaraïtes, l'auteur de l'hymne évoque la perte de Sion et l'espoir de la retrouver :  « Tes fils se réjouiront en ton sein et tes bien aimés se joindront à toi. Comme ils ont espéré en ton salut et comme tes parfaits ont fait le deuil sur toi ».  L'ensemble de l'hymne décrit aussi la lutte que mènent les fils d'Israël contre les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur pour reconquérir Sion. II présente la trame d'un « scénario » tout à fait parallèle à celui contenu dans la déposition de Pierre Maury citée plus haut. 

10 Origine et transmission du Catharisme

Tout ceci amène à la question de l'origine du Catharisme et de sa transmission jusqu'au Moyen-âge que des travaux récents permettent de reconsidérer. Au lieu de devoir passer par les pauliciens et les bogomiles comme on le faisait habituellement pour retrouver les cathares du 12 ème siècle et établir la continuité entre gnosticisme, manichéisme de l'épo-que antique et néo manichéisme médiéval, on ferait, grâce aux qaraïtes, l'économie de trois siècles. Il faut d’ailleurs se rappeler que les relations à partir des années 800 sont beaucoup plus fréquentes entre Orient et Occident : les qaraïtes eurent l'esprit mission-naire et essaimèrent en Occident ; dès le 10 ème siècle on en connaît en Espagne. Ne fau-drait-il pas étudier leur influence ? Ne pourrait-on même éviter ces étapes en Orient, qui jusqu'à lors paraissaient indispensa-bles ? Au lieu de transiter par les Balkans des bogomiles en mettant six ou sept siècles, ne pourrait-on imaginer que le Gnosticisme se serait maintenu dans ce même Occident d'une manière plus ou moins clandestine ? Dans les synagogues se conservaient parfois de vieilles bibliothèques contenant certaines survivances des littératures religieuses des premiers siècles chrétiens ; dans le climat de libéralisme doctrinal qui caractérise le Lan-guedoc au 12 ème siècle, rabbins et parfaits cathares ont pu se communiquer leurs livres et s'accorder sur certains thèmes.

Un lien entre la doctrine juive des premiers siècles après J.C. et la Kabbale du 12 ème siècle apparaît dans l'usage similaire de la symbolique et de la terminologie gnostiques qu'on retrouve également dans le Catharisme. Certains thèmes gnostiques abordés dans le Sé-pher ha Bahir sont présents dans les mythes cathares d'influence gnostique. Ainsi le Gnosticisme, combattu et virtuellement ruiné dans la grande Eglise des Pères, aurait-il poursuivi ou retrouvé une existence souterraine grâce à l'abri que lui offrirent les synago-gues ? Shulamith Shahar a publié un essai de comparaison entre ces textes mais uniquement pour les mythes nettement identifiables ; la comparaison est aussi probante avec d'autres passages du Bahir mais rendue plus difficile en raison du principe de composition du livre. L'existence des lignes de ressemblance entre écrits cathares et Bahir apporte par elle-même une preuve fondamentale aux spéculations des savants sur une influence récipro-que entre le Catharisme et la Kabbale du 12 ème siècle. La ressemblance peut être aussi le fruit d'un développement antérieur, indépendant dans chacun des deux mouvements reli-gieux ; dans ce cas, si la ressemblance n'est pas une simple coïncidence, elle est l'ex-pression de l'existence de motifs proches dans le contexte des manières de penser, dans les expressions religieuses de groupes de même préoccupation. Or au 12 ème et 13 ème siècle nous retrouvons les mêmes préoccupations chez ces groupes que celles qui existaient au début du Christianisme chez les juifs, les judéo-chrétiens et les gnostiques. Le dialogue s'était-il poursuivi secrètement tout au long des siècles ou fut-il repris après une longue interruption ? La question reste aujourd'hui entière.

Source : sfa-auvillar.com

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