vendredi, 28 avril 2017 13:28

France : Macron président, ou comment l’effet de halo a fait triompher un « golem aware »

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Emmanuel Macron va très probablement devenir le prochain président de la République française. Longtemps, on a pu croire qu'il constituait une simple bulle médiatique, qui allait éclater au soir du premier tour ; pourtant, c'est bien l'ancien secrétaire général adjoint de l'Élysée qui a passé la ligne en tête, avec 24 % des suffrages. Pour un observateur de la vie politique sur le Net, le choix des Français peut apparaître complètement déconcertant ; mais, précisément, était-ce à proprement parler un "choix", fruit de leur réflexion éclairée ? Ou bien autre chose, qui aurait davantage à voir avec un acquiescement, à peine conscient, à une forme de conditionnement ?

Dans les milieux "dissidents" sur Internet, ce fut la stupeur ce 23 avril 2017 à 20h, comme sur Meta TV, où Tepa et Adrien Abauzit, commentant en direct les résultats, n'en revenaient pas ; Alain Soral, de son côté, prophète de son état, avait annoncé l'élimination prématurée de Macron, censé finir quatrième ; quant aux militants de l'UPR, certains d'entre eux, abasourdis, estimèrent de prime abord que les résultats devaient être truqués.

Un candidat de synthèse

On comprend ces réactions, venant de gens réfléchis : Macron apparaissait clairement à leurs yeux comme le candidat de l'oligarchie, du "système", allant de Robert Hue à Alain Madelin, en passant par la plupart des caciques du Parti socialiste, François Bayrou, ou encore Pierre Bergé, Bernard-Henri Lévy, Alain Minc, Jacques Attali, Daniel Cohn-Bendit, et une bonne partie du show-biz. Pire : son discours était vide, flou, souvent incohérent, aussi creux et obscur que la fosse des Mariannes... c'est dire. L'humoriste Nicolas Canteloup n'hésitait pas à comparer à Jean-Claude Van Damme le candidat qui nous enjoignait à "penser printemps".

A dire vrai, personne n'a peut-être mieux analysé, comme par anticipation, les prestations d'Emmanuel Macron que Franck Lepage dans ses sketchs sur la langue de bois, où il s'agit d'aligner les uns à la suite des autres, dans un ordre ou dans un autre, une liste de mots-clés pour former un semblant de discours sensé, qui ne dit en vérité strictement rien.

Julien Rochedy, quant à lui, fit cette analyse dans un entretien avec Christopher Lannes publié sur TV Libertés le 22 avril, soit la veille du premier tour :

"Macron, en ce moment, est en train de régresser, je le crois fortement, parce qu'on est en train de s'apercevoir qu'il dit absolument tout et son contraire, et ce que je suis en train de te dire, tout le monde s'en rend compte.

Dernièrement il nous a fait un coup formidable : il a fait un discours à Marseille où il appelle tous les Français d'après leur nationalité première, "je vois des Algériens, je vois des Comoriens, je vois..." et ainsi de suite, pour après faire, dans la minute qui suit, un entretien avec Causeur d'Elisabeth Lévy pour dire que la France n'est pas multiculturelle et qu'elle ne le sera jamais. C'est vraiment du grand n'importe quoi.

Et là, la polémique qui vient de sortir dernièrement, sur un de ses soutiens qui serait un radical islamiste, il dit sur Beur FM "c'est vrai qu'il est radical", et puis dans la minute qui suit "mais en même temps c'est quelqu'un de bien", donc pour lui tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau, il n'y a aucun fond. (...)

Je fais le pari que Macron ne fera pas du tout le score qui lui est prédit dans les instituts de sondages et qu'il y a des chances pour qu'il ne soit pas au deuxième tour."

Grossière erreur que de penser que tout le monde se rendait compte de ses contradictions, ou en prenait ombrage... Seul un homme attentif et rationnel peut y trouver à redire, ce que le consommateur moyen (et superficiel) d'informations n'est pas.

On entendit son soutien Alain Madelin dire, en off, que Macron n'avait pas d'épaisseur politique et historique, et des professionnels de la communication lui tailler un costard, sur lequel n'aurait pas craché François Fillon, tant il était richement décoré. Petit florilège de ces piques, lancées sur LCI :

"Il a pastellisé la campagne (...). C'est plus de la télé réalité, on est revenu à Hélène et les Garçons (...), c'est la cantine de la fac. Lui, il est au milieu de tout ça comme un évangéliste en train de hurler comme un gourou, il est effrayant..."

"C'est du marketing politique de très bas étage..."

"Quand on regarde sa gestuelle, il imite Nicolas Sarkozy... Il a le programme de Hollande et la gestuelle de Sarkozy... C'est un produit qui a été fabriqué. Il est probablement le jouet ou la marionnette de quelqu'un qui aurait aimé pouvoir se présenter mais qui malheureusement ne l'a pas pu..."

"C'est un trou noir... c'est une espèce de force, mais il n'y a rien... c'est un candidat de synthèse, voire un artefact pur et dur... c'est le Triangle de Bermudes..."

"Ce type est dangereux, son programme est dangereux..."

"Il est le garant de la continuité du programme de François Hollande..."

"Macron est coaché par... une folle... On lui a appris à parler marseillais en 48h... Quand il parle du groupe de rap IAM, il ne comprend pas ce qu'il dit..."

"Dans les meetings de Macron, on se fait chier..."

"Quand il reprend IAM, soit c'est un neuneu (qui n'a pas compris le sens de la chanson), soit c'est du cynisme, beaucoup plus grave et indigne..."

"Il est dans la superficialité totale..."

"On sent que ce sont des phrases préparées, et qu'il ne se les est pas appropriées... Il interprète un rôle, qui lui a probablement été écrit par d'autres, dont on peut supposer qu'ils sont François Hollande, son épouse et je ne sais qui encore... Finalement, il n'est peut-être pas autre chose qu'un comédien de planches qui interprète un rôle que d'autres veulent écrire pour lui..."

"Macron nourrit l'abstention... car c'est du foutage de gueule..."

Certains ont pu synthétiser toutes ces observations en qualifiant Macron de "golem aware". "Le Golem est, dans la mystique puis la mythologie juive, un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre façonné afin d’assister ou défendre son créateur." On devine l'identité du créateur en lisant dernièrement sur AgoraVox la journaliste Aude Lancelin, qui voit dans la victoire annoncée de Macron un "putsch du CAC 40". Quant au terme "aware", il renvoie au style oral jusqu'ici inimitable de l'interprète belge de Full Contact.

Des électeurs en marche... de zombies

Différents micros-trottoirs, dont celui de Vincent Lapierre sur E&R, ont pu montrer la superficialité ahurissante de nombre des futurs électeurs de Macron, ne sachant pas dire pourquoi ils allaient voter pour lui, incapables de citer une seule de ses idées ou de ses mesures. A vrai dire, l'argument qui revient le plus souvent, y compris dans les reportages diffusés à la télévision, c'est que Macron est jeune, que c'est un nouveau visage ; parfois, on ajoute qu'il est beau.

Il est à préciser que ce sont des personnes d'âge mûr qui tiennent ce langage, même s'il rappelle étrangement celui de Théo, 10 ans, interrogé par BFM TV le 11 avril 2017 : « Je voterais plutôt pour Emmanuel Macron parce qu’il a les yeux bleus, comme moi, il a l’air sympa. » Théo, malgré son jeune âge, a donc le même niveau de réflexion que l'électeur moyen d'Emmanuel Macron. Le candidat d'En marche ! incarne physiquement le slogan de campagne de François Hollande en 2012, à savoir "Le changement, c'est maintenant !"

Michel Onfray a pu estimer, non sans quelque raison, que le leader d'En marche ! avait "séduit tous les incultes" et que "ça [faisait] du monde".

Ce que nous en sommes en train de vivre avec l'élection programmée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, et qui peut être assimilée à une expérience de psychologie sociale grandeur nature, nous rappelle une vérité fondamentale, difficile à accepter pour cet animal présomptueux et arrogant qu'est l'être humain : nos jugements et nos décisions ne sont pas, principalement, le fait de notre raison, le résultat du travail raisonné de notre intellect, mais la résultante, quasi automatique, d'influences plus profondes, en partie inconscientes, qui passent par nos émotions, en particulier la peur, mais aussi l'enthousiasme.

L'hypothèse que je propose est que le succès d'Emmanuel Macron repose essentiellement sur un double effet de halo, qui porte, d'une part, sur sa propre personne, et, d'autre part, sur celle de Marine Le Pen. D'abord, rappelons la définition de l'effet de halo :

"L’effet de halo, effet de notoriété ou encore effet de contamination, est un biais cognitif qui affecte la perception des gens ou de marques. C'est une interprétation et une perception sélective d'informations allant dans le sens d'une première impression (...). Une caractéristique jugée positive à propos d'une personne ou d'une collectivité a tendance à rendre plus positives les autres caractéristiques de cette personne, même sans les connaître (et inversement pour une caractéristique négative). (...) Ainsi Clifford (1975) a pu montrer que des personnes étaient jugées plus intelligentes que d'autres uniquement sur la base de leur attrait physique".

On se rend ici compte de la portée des réponses données dans les micros-trottoirs par les sympathisants de Macron : "il est jeune, il est nouveau, il est beau" (dynamique, optimiste...), autant de caractéristiques positives (dans un contexte où les électeurs en ont ras-le-bol de leur classe politique vermoulue), qui tendent à rendre plus positives ses autres caractéristiques, son programme par exemple, même si on ne le connaît pas (et, de fait, en général, on ne le connaît pas).

On se retrouve ainsi avec des foules affluant vers les meetings de Macron, un peu comme des hordes de zombies convergeant vers les supermarchés dans les films de genre, ne sachant pas trop pourquoi elles sont là, et qui, lorsqu'elles se réveillent parfois, se rendent subitement compte du vide du discours et font marche arrière.

On se souvient de ce reportage de France 5, où l'on voyait le public de Macron quitter ses meetings au bout de quelques minutes, tant le vide était sidéral ; chose que les reporters reconnaissaient n'avoir jamais vu, ni chez Fillon, ni chez Le Pen, ni chez Mélenchon, ni chez Hamon…

La prestidigitation pour les nuls

Mais ces éveillés de la dernière heure ne sont pas légion. Chez la plupart, le charme macronien opère encore. Le charme très particulier du banquier d'affaires, qui comparait lui-même son métier, dans un entretien au Wall Street Journal du 8 mars 2015, à celui d'une prostituée : « On est comme une sorte de prostituée. Le job, c'est de séduire ». Et, pour séduire, le jeune homme sait y faire, qui multiplie les clins d'oeil à son auditoire lorsqu'il monte à la tribune, comme il l'a encore fait le soir du premier tour.

Voici comment François Henrot, directeur de la banque Rothschild, décrivait sur France 3 les compétences acquises chez lui par le jeune Emmanuel Macron :

"Ça, on apprend l'art de la négociation. On est aussi amené beaucoup (et ça c'est, j'allais dire, heureusement ou malheureusement, utile en politique) à communiquer, c'est-à-dire à raconter des his... une histoire. Donc on y apprend, d'une certaine façon aussi, des techniques de, comment j'allais dire, pas de manipulation de l'opinion, mais de... un petit peu."

 

Les techniques de manipulation mentale utilisées par Macron ont été rapidement identifiées par les observateurs attentifs (ce que ne sont pas, répétons-le, la majorité des électeurs) : dire tout et son contraire, parfois d'une phrase à l'autre, via son célèbre "en même temps", ce qui est un moyen habile de harponner tous les électorats, de droite comme de gauche, qui peuvent avoir le sentiment que l'on répond à leurs attentes.

Si Marine Le Pen se prétend ni de droite, ni de gauche, Macron se revendique, lui, de droite et de gauche. Une manière d'être "anti-système" (en refusant le clivage traditionnel), tout en attirant dans son sillage la quasi totalité des acteurs du "système". Ainsi, lors de son grand meeting parisien à Bercy, le 17 avril, il proclamait sous les acclamations de ses fans :

"Je continuerai à utiliser "en même temps". Car je choisis la croissance et la solidarité, la liberté et l'égalité, les entreprises et les salariés, le meilleur de la droite, de la gauche et du centre".

Rarement aura-t-on atteint pareil sommet dans la démagogie.

Comme l'explique Clément Viktorovitch, docteur en science politique et spécialiste de rhétorique, sur CNews, nous avons, nous autres êtres humains, la caractéristique cognitive de disposer d'une attention sélective, qui nous rend plus sensibles, dans un discours, à ce qui conforte nos opinions ; ainsi, en écoutant un discours d'Emmanuel Macron, une personne favorable à la prolongation de l'état d'urgence croira comprendre qu'il y est, lui aussi, favorable, de même qu'une personne qui y est défavorable... car Macron exprime consécutivement, plus ou moins clairement, les deux positions.

Raisonnement contre conditionnement, ou le combat de David contre Goliath

Macron bénéficie aussi d'un concours de circonstances extraordinaire. Sans l'éclatement des affaires touchant Fillon, celui-ci l'aurait probablement emporté haut la main. Si Valls avait remporté la primaire de la gauche, il aurait siphonné une bonne partie des voix de Macron et sans doute contrarié son accession au second tour. Si Hamon s'était retiré, Mélenchon lui serait certainement passé devant. Mais l'obstination de Fillon (plombé par les affaires), comme celle de Hamon (le plus mauvais candidat de l'histoire du Parti socialiste) lui ont tracé un boulevard. Macron apparaît clairement comme un choix par défaut, non de forte adhésion, comme en témoigne d'ailleurs son score relativement faible (Sarkozy avait atteint 31,18 % en 2007 et Hollande 28,63 % en 2012).

Parmi les "petits candidats", certains étaient de bon niveau, comme Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau, autrement plus structurés qu'Emmanuel Macron, mais ils ne pouvaient séduire qu'une part restreinte de l'électorat, qui s'intéresse de près à la politique, y consacre du temps, notamment sur Internet. Cet intérêt fort n'est pas le fait de la grande majorité de la population, qui fait son choix parmi les têtes d'affiche bénéficiant d'une très large exposition médiatique tout au long de l'année. Pour le public peu politisé, davantage influencé par les apparences que par le fond d'un projet, il importe de percevoir derrière le candidat la puissance d'un grand parti, un nombre conséquent de soutiens connus, de figures médiatiques de premier plan. Le grand public se rallie avant tout à la puissance, pas à la finesse des arguments d'un candidat isolé. On comprend que Dupont-Aignan et Asselineau, étant les seules figures connues de leurs (petits) mouvements, n'avaient aucune chance de séduire les masses.

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Errico Malatesta

En outre, leur objectif, clair pour l'un, un peu moins pour l'autre, de sortir de l'Union européenne ne pouvait que susciter une forte réticence, non pas fondée sur la raison le plus souvent, mais sur une forme d'habitude, de conditionnement, que nous aide à saisir l'anarchiste italien Errico Malatesta dans un texte intitulé L'anarchie :

"Comme tous les êtres vivants, l'homme s'adapte et s'habitue aux conditions dans lesquelles il vit, et il transmet, par hérédité, les habitudes qu'il a acquises. C'est ainsi qu'étant né et ayant vécu dans les chaînes, et étant l'héritier d'une longue série d'esclaves, l'homme a cru, quand il a commencé à penser, que l'esclavage était la caractéristique même de la vie, et la liberté lui est apparue comme quelque chose d'impossible. De la même façon, contraint depuis des siècles et donc habitué à attendre le travail, c'est-à-dire le pain, du bon vouloir du patron, ainsi qu'à voir sa propre vie perpétuellement à la merci de celui qui possède la terre et le capital, le travailleur a fini par croire que c'est le patron qui lui permet de manger et il se demande naïvement comment on ferait pour vivre si les maîtres n'étaient pas là.

Imaginez quelqu'un qui aurait eu les deux jambes attachées depuis sa naissance, et qui aurait cependant trouvé le moyen de marcher tant bien que mal : il pourrait très bien attribuer cette faculté de se déplacer à ces liens, précisément - qui ne font au contraire que diminuer et paralyser l'énergie musculaire de ses jambes.

Et si aux effets naturels de l'habitude s'ajoute l'éducation donnée par le patron, par le prêtre, par le professeur, etc., qui sont tous intéressés à prêcher que les maîtres et le gouvernement sont nécessaires, s'il s'y ajoute le juge et le policier qui font tout pour réduire au silence quiconque penserait différemment et serait tenté de propager ce qu'il pense, on comprendra comment a pu s'enraciner dans le cerveau peu cultivé de la masse laborieuse le préjugé selon lequel le patron et le gouvernement sont utiles et nécessaires.

Imaginez qu'à cet homme qui a les deux jambes attachées, dont nous parlions, le médecin fasse toute une théorie et expose mille exemples habilement inventés pour le persuader qu'il ne pourrait ni marcher ni vivre si ses deux jambes étaient libres : cet homme défendrait farouchement ses liens et verrait un ennemi en quiconque voudrait les lui détacher."

De même, Asselineau a beau essayé d'expliquer que les traités européens constituent une entrave, ils sont perçus par la population comme les conditions même de notre survie et de notre liberté, car c'est ce que nos prêtres à nous, les médiacrates, répètent à longueur de journées (à tort ou à raison, là n'est pas la question ici). L'idée que "nous sommes plus forts ensemble" paraît, en outre, frappée au coin du bon sens. Et l'homme qui veut détacher la France de ses liens est perçu, en toute logique, comme un ennemi ou, du moins, un danger, ou encore comme un candidat farfelu, dixit Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du Journal du dimanche et éditorialiste à RMC et BFM TV.

La raison impuissante face à la peur  

Reste le cas de Marine Le Pen. Son score décevant du premier tour (21,3 %), qui ne lui laisse entrevoir aucune chance de l'emporter au second (un score entre 35 et 40 % serait un maximum, sauf circonstances imprévues), témoigne de ce que l'entreprise de dédiabolisation n'aura pas modifié en profondeur la perception que la grande majorité de la population a encore du Front national. Cette perception a été conditionnée par plusieurs décennies de messages anxiogènes et même terrorisants de la part de la quasi totalité des leaders d'opinion qui ont l'occasion de s'exprimer dans les médias de masse. La reductio ad Hitlerum a notamment eu un effet inhibiteur ravageur : associer régulièrement Jean-Marie puis Marine Le Pen à Adolf Hitler a produit un effet de halo négatif, qui a contaminé tout leur programme politique, quand bien même on ne le connaît pas (ou quand bien même il émane aujourd'hui largement d'un ancien chevènementiste, Florian Philippot).

On se souvient que Lionel Jospin avait déclaré en 2007 sur France Culture que le Front national de Jean-Marie Le Pen, durant les années de présidence de François Mitterrand, n'avait jamais été "un parti fasciste" et que, par conséquent, "tout anti-fascisme n'était que du théâtre" ; dix ans plus tard, rares sont les Français qui, à l'instar d'Henri Guaino (qui s'est exprimé à ce sujet le 25 avril 2017 sur LCI), semblent partager les vues de l'ancien Premier ministre socialiste.

Il n'est ainsi pas rare de rencontrer des personnes qui se disent très défavorables à l'immigration, notamment extra-européenne, à l'insécurité ou à l'islamisation qui en découleraient, et qui pourtant seraient terrorisées à l'idée de voter pour Marine Le Pen, et qui préfèrent encore voter pour Emmanuel Macron, selon lequel pourtant "l’immigration se révèle une chance d’un point économique, culturel, social". On voit bien, dans ce cas de figure, que ce n'est pas la raison qui les commande, car, sur le fond, elles ont les mêmes idées que celles que l'on défend au Front national. Ce qui les retient, c'est une émotion, en l'occurrence la peur, qui leur est transmise continuellement (comme un bruit de fond) par les médias, la télévision en tête. Ces personnes peuvent ainsi invoquer, pour justifier leur crainte, Adolf Hitler et les chambres à gaz, craignant sincèrement que l'histoire ne recommence. Il est vrai que la présence persistante, au sein du FN, d'admirateurs du nazisme, même s'ils sont régulièrement mis à la porte par la patronne du parti, n'est pas là pour rassurer, même les électeurs plus rationnels.

Les émotions et la raison sont constamment en lutte en nous, et c'est presque toujours l'émotion qui l'emporte, et contraint la raison de la suivre. On ne peut ainsi qu'éprouver une forme de dissonance cognitive lorsque l'on entend tous les tenants du "front républicain" affirmer que Marine Le Pen est une ennemie de la République, alors même qu'on entend cette dernière nous dire qu'elle instaurera la proportionnelle à l'Assemblée nationale, le référendum d'initiative populaire, et ne prendra aucune grande décision, comme la sortie de l'euro ou de l'Union européenne, sans passer par un référendum. Si l'on se fie à la seule raison, en examinant les propositions faites (dont rien ne nous garantit, il est vrai, qu'elles seront respectées), on se dit que Marine Le Pen nous propose plus de démocratie que la plupart de ses concurrents (qui ont, en outre, trahi le peuple après le référendum de 2005). Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser, en même temps, qu'elle constitue le plus grand des dangers pour la démocratie, car c'est ce que l'on entend dire continuellement de la part de nombreuses personnalités dotées d'un fort capital d'autorité, sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire pour elles d'y adjoindre le moindre argument.

Avec des si...

Peut-on sortir de cette situation apparemment désespérante, où l'intelligence semble devoir toujours capituler devant le recours aux émotions et à leur manipulation par les puissances de l'argent, qui tiennent le pouvoir médiatique ? Il est permis d'en douter. Suite au Brexit, le producteur de télévision Xavier Couture, totalement désemparé, avait proposé d'instaurer un permis de voter, qui serait délivré après un examen de culture générale. Son hypothèse était que seule l'ignorance avait pu faire triompher les tenants du Brexit. La proposition avait pu choquer (notamment sur AgoraVox), tant elle semblait témoigner d'une haine de la démocratie, de ce droit à décider accordé à tous ceux qui n'ont précisément aucun titre pour gouverner. Mais aujourd'hui, c'est à une semblable ignorance, ou à un déficit de rationalité, que, sur le web citoyen, on impute la probable victoire d'Emmanuel Macron, ce candidat si falot qu'il nous ferait presque regretter les déjà calamiteux Sarkozy et Hollande, et dont nombre des supporters semblent confondre l'élection à la présidence de la République avec le concours de Mister France.

D'aucuns pourront bien voir dans l'élection de ce "golem aware" un signe supplémentaire de la décadence de notre civilisation... Pour autant, les électeurs ne sont pas les seuls à blâmer. On a vu que des comportements politiciens, des ambitions personnelles, des logiques de partis avaient leur part de responsabilité dans l'ascension au sommet de Macron. Du côté de Marine Le Pen elle-même, certains gestes forts auraient peut-être aussi dû venir plus tôt, comme sa mise en congé de la présidence du Front national, et une ouverture beaucoup plus marquée vers des personnalités d'autres partis, qui auraient pu apposer leur marque sur le projet présidentiel, l'adoucir. A cette condition peut-être, son élection aurait pu être acceptée par une majorité de Français, qui n'auraient pas craint un accaparement du pouvoir par le Front national, un parti peu démocratique en interne, et dont les arrière-boutiques ne sont pas toujours aussi rassurantes que le très efficace tandem médiatique formé par sa présidente et son vice-président Philippot. A cette condition, il eût été possible de stopper l'ascension de Macron jusqu'à l'Élysée. Mais avec des si, on mettrait Paris en bouteille.

Source : agoravox.fr

Commentaires   

 
0 #1 Francis 06-05-2017 19:22
Tout porte à croire que les Français éliront un beau gosse pour président.
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