lundi, 13 mars 2017 07:47

Réflexion linguistique

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L’anglais aujourd’hui s’impose partout comme LE langage de référence à l’international, celui utilisé à l’échelle planétaire lorsque des gens de diverses origines désirent communiquer. En assistant hier au cours de Jacob Levy sur la pensée politique occidentale à l’époque de Saint-Thomas-d’Aquin et de Dante, cette petite réflexion m’est venue. Je la partage avec vous.

 

Commençons par remonter un peu le temps et rendons-nous à l’époque de l’empire romain. La structure politique en place à l’époque des belles années de l’empire a permis le développement d’un corpus assez complexe de règles de droit, le droit romain. Cet ensemble de règlements et de lois était devenu nécessaire pour établir des normes commerciales, gérer les affaires courantes, les transactions entre les gens et les litiges civils. Cette règle de droit dans sa forme achevée – le Corpus iuris civilis de l’empreur Justinien – est l’ancêtre direct d’où émane notre droit civil moderne.

Après la chute de l’empire au 5ième siècle et le début du Moyen-Âge alors que la structure politique des territoires alors romains changeait du tout au tout, cette règle de droit est tombée dans un oubli à peu près complet. L’univers politique et les jeux de pouvoir se sont éloignés du domaine légal. Sans être un spécialiste des temps médiévaux, disons seulement que le territoire était disputé entre des seigneurs de guerre. La guerre était quasi permanente et les citoyens ordinaires étaient ballotés d’un régime à l’autre dans la plus grande instabilité.

Las de cette instabilité, marchands et citoyens ordinaires (non-nobles) ont donné naissance aux premières villes, alors appelés bourgs. Il s’agissait d’endroits murés qui se soustrayaient politiquement aux assauts des seigneurs de guerre pour permettre une existence paisible et un havre pour les commerçants. Ces bourgs se sont multipliés en Europe et, éventuellement, ces cités-états relativement souveraines ont cherché à entretenir des liens commerciaux entre elles.

Plusieurs problèmes ont alors surgi, celui du droit en tout premier lieu. Il fallait un ensemble de règles pour encadrer ce commerce. On a donc redécouvert le droit romain et le Corpus iuris civilis de Justinien plusieurs siècles après sa disparition. Un second problème s’est alors posé : celui de la langue. Le latin avait eu plusieurs siècles pour se régionaliser, se mélanger aux dialectes des barbares, se désintégrer. Le latin classique est disparu et avait laissé place au latin vulgaire, puis à une multitude de langues locales Langue d’Oc, langue d’Oïl, langue Celte, elles-mêmes subdivisées en plusieurs dialectes plus locaux.

Or, le droit romain était naturellement rédigé en latin. On a alors ouvert les premières universités : Bologne, Paris, Oxford. L’objectif était de former des spécialistes en droit et en théologie capables de lire, d’interpréter et d’adapter à l’époque le Corpus iuris civilis de Justinien. La langue de l’université, une institution politiquement indépendante, uniquement présente dans les cités et où les étudiants étaient libres d’aller d’une institution à l’autre, fut donc naturellement le latin. Le latin est alors devenu, en quelque sorte, la langue du monde, la première langue destinée à abattre les frontières et les particularismes régionaux pour permettre un commerce plus aisé.

La langue latine s’est alors considérablement appauvrie et atrophiée. Des temps de verbe sont disparus, la richesse syntaxique s’est dissoute. La langue s’est adaptée à ce à quoi elle servait et est devenue presque purement utilitaire : lire, interpréter et communiquer le légal, lire, interpréter et réciter les textes sacrés.

Ce n’est qu’avec Dante Alighieri et ses oeuvres, dont la Divine Comédie, que les langues locales ont commencé à s’imposer dans la littérature, la réflexion, la philosophie. Elles réintroduirent dans ces univers intellectuels une humanité qui était disparue du latin académique par excès d’utilitarisme, une poésie, une profondeur, une transcendance.

À tous les utopistes d’aujourd’hui qui rêvent en Esperanto à un monde sans frontière culturelle où tous pourraient communiquer et se comprendre dans un globish moderne et supposément progressiste, révisez votre histoire et apprenez de ce latin aseptisé moyenâgeux, la langue du « commerce et de l’ouverture sur le monde » d’alors. Voyez que la beauté du monde s’est atrophiée avec lui, qu’avec lui, point de poésie et de transcendance par le sublime dans l’académie. Il a fallu le « repli identitaire » linguistique de Dante pour réintégrer dans la pensée occidentale un peu de sublime.

Source : davidleroux.ca

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