lundi, 25 janvier 2016 13:05

Feuilleton : correspondance entre un québécois et un canadien-français (4eme partie)

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Juriste Curé

Moé : canadien-français

Toé : québécois

 

Cher « toé »,

          Je vais te paraître ennuyant à mourir mais plutôt mourir qu’assister à une partie de hockey à ton centre Bell. J’ai déjà les oies et les enfants qui me caillassent les oreilles à longueur de journée dans l’enclos, je n’irai pas en ajouter une couche en pénétrant ce temple de la vulgarité. Et puis, comme disait le père Antonio Villeneuve dans son roman L’insoumise (1949) : «  La solitude est révélatrice. Elle libère la pensée attirée par aucun aimant. Les sens se taisent pour laisser travailler l’esprit ». Autrement dit, aussi bien la solitude avec mes canadiennes [i] qu’un grand dérangement [ii]…

Comprends-« moé » bien, y jouer c’est bien, c’est la partisanerie que j’exècre. Ce besoin d’identification à un élément de la joute, par exemple, Doug Harvey ou Maurice Richard, m’est totalement étranger. Si je me déplace en ville, « toé pis moé » allons faire ce que « moé » j’ai envie de faire [iii]. D’autant plus que l’éducation de mes enfants – car oui ils m’accompagneront ; mes séjours en ville sont si rares, je ne me priverai pas là-dessus certain ! –  ne doit pas être corrompue par le tout cuit dans le bec, la légèreté, encore moins le divertissement grossier bardé de publicités. La vie de campagne exige qu’ils deviennent de solides gaillards et des femmes dévotes qui ne chômeront jamais. Une partie de  hockey pee-wee ou amical à l’aréna du village aurait au moins la décence de laisser toute la place au sport. 

Au sujet de ta « proposition » de réinventer la langue, je ne suis pas convaincu qu’elle ne soit bien avisée. Je t’expliquerai mes raisons en temps et lieu. Et ne te réjouis pas trop vite de ta compréhension de ma langue, je n’écris pas comme je parle. J’écris comme mes enseignants me l’ont appris et ma parlure a été moulée sur celle de mes fréquentations. Tu verras bien.

Pour ce qui est du frère Untel, j’avoue n’avoir pas suivi les épisodes dénoncés dans ta  précédente lettre. Contrairement à « toé » ou du moins à ce que tu laisses paraître dans tes lettres, je ne m’avance que très peu sur ce que je connais à moitié. Afin de conclure formellement, je dois avoir en mains toutes les clés de compréhension. Pour ce qui est de ce que tu nommes « Fribourg-la-bilingue » par exemple, le chanoine Lionel Groulx y a fait un séjour en tant qu’étudiant et n’est pas devenu un partisan du bilinguisme pour autant. Un autre exemple que tu utilises : le cardinal Léger est, me semble-t-il, un homme plus complexe et nuancé que tu ne sembles le croire. Pour ce qui est de la revue « Cité libre » et du journal « La Presse », je suis bien d’accord avec l’opinion que tu t’en fais.

Ce qui me surprend c’est ton scepticisme en rapport au frère Untel. Si j’ai utilisé le frère Untel c’est que je te savais amateur de spectaculaire et de plus, le frère Untel avait été cité, à titre d’inspiration, par le FLQ dans leur organe interne « La cognée » :  « C’est à la hache que je travaille… Le temps n’est pas aux nuances, au pays du Québec. Déblayer n’est pas œuvrer ; il faut pourtant commencer par déblayer ; et avant même de déblayer, il faut démolir.  » [La cognée, octobre 1963]. Je croyais bien sottement attirer ton attention puis te convaincre que la survie de la société, la mienne devenue la tienne, ne passait pas par la création d’une nouvelle langue. Le frère Untel a au moins eu le mérite, je le crois bien, de t’écarquiller les yeux sur une attitude subversive qui te fascine tant parce que séduisante et si éloignée de la tienne. Pourtant, je constate que sans t’en rendre compte, tu reproduis inlassablement son genre de montée de lait (notamment via ce que tu nommes facebook) au point où sa subversion t’est devenue si peu subversive, si confortable… Comme si plus personne n’avait besoin de crier au loup ! Que le loup était directement placé à tes côtés et que ça sonnait à tes oreilles comme du Brel ! Admettons tout de même qu’il était sacrément culotté pour son temps ce bleuet et frère mariste. Mais, tu as raison, j’eus mieux fait de citer plus unanime… pourquoi pas ton favori, j’ai nommé Jésus Christ !…Étrange comment les tiens qui se disent rebelles le détestent celui-là. Véritable rebelle exemplaire par son refus d’obéir à l’ordre établi de son temps, t’aurais reçu une sacrée leçon sur ce qu’est véritablement la rébellion. De quoi te mener à exaucer tes prières les plus secrètes, mêmes inconscientes, de redevenir canadien-français, cette époque durant laquelle ta vie avait un sens. Bien sûr, Jésus est souvent accompagné d’une remarque sur Dieu. Comme les tiens, tu refuseras de te soumettre à Dieu sous prétexte que ce n’est pas payant et que pour vivre il faut payer. Ayant fréquenté le petit séminaire, je connais bien le refrain de ton époque [iv] qui se veut libre. Toutefois, ton perpétuel scepticisme te tue à petit feu et n’ayant trouvé aucune explication définitive à rien, tu t’y soumettras peut-être sur ton lit de mort à la manière du père Karamazov [v]. Je ne te le souhaite pas.

Quoiqu’il en soit, c’est « toé » qui m’a écrit le premier, c’est donc « toé » qui a besoin de « moé », c’est donc « moé » qui décide de l’endroit de notre rencontre et cet endroit sera la basilique de l’oratoire Saint-Joseph où nous irons rendre une petite visite au frère André et prier Saint-Joseph, le père de Jésus, parce les pères de mon époque et de la tienne en ont bien besoin. Si tu décides de ne pas venir, c’est « toé » le pire, je m’amuserai quand même, parce que ma famille m’accompagnera.

Bien à toé, 

Ton ami le Canadien français qui doit tellement t’énerver avec son « petit Jésus de plâtre ».

 

[i] La Canadienne fait, dans ce cas-ci, allusion à une race bovine.

[ii] Le grand dérangement est l’expression qui est normalement utilisée pour désigner la déportation des Acadiens. Les Acadiens avant d’être nommés Acadiens étaient eux aussi nommés Canadiens français.

[iii] Voilà une réponse que tout campagnard rêve de balancer aux Montréalais…

[iv] L’abbé Groulx raconte, à la fin du 20e siècle, dans ses mémoires, sa première impression du grand séminaire de Montréal : «  Je fus étonné de trouver, à Montréal, une atmosphère morale, spirituelle, bien inférieure à celle de mon collège. Nous étions quelque trois cents séminaristes : pour une moitié venue des milieux canadiens-français; pour l’autre composée d’Irlandais ou Anglais du Canada et d’Américains. Les allures désinvoltes, indisciplinées de cette seconde moitié produisaient un funeste effet sur nos camarades canadiens-français, trop enclins au mimétisme. » Les écoles d’études supérieures sont souvent un reflet de l’avenir.

[v] Le père Karamazov, dit Fiodor Pavlovitch, est un personnage du roman les frères Karamazov du romancier russe Fiodor Dostoïevski. Le père Karamazov y incarne un genre de décadence du paternel. Il ne s’occupe pratiquement pas de ses enfants. Ses enfants veulent le tuer (en se faisant complices de sa mort, ils deviennent aussi pires que lui). Sur son lit de mort, abattu par son fils illégitime, la chienne lui pogne et, avec toute la lâcheté qui le caractérise, fait part de remords et, soudainement, veut que Dieu rachète ses péchés…  Quoiqu’il en soit, cette connaissance de la littérature russe par cet agriculteur, ancien séminariste canadien-français, montre bien un cheminement intellectuel reposant sur de bonnes bases quoiqu’échevelées par l’exotisme et l’absence de repères enracinés, mais  prouve bien qu’il n’y a pas que ses champs qui soient cultivés…

 

Lisez les premiers épisodes : 

Feuilleton : correspondance entre un québécois et un canadien-français (1ere partie)

Feuilleton : correspondance entre un québécois et un canadien-français (2eme partie)

Feuilleton : correspondance entre un québécois et un canadien-français (3eme partie)

Commentaires   

 
0 #3 Juriste-curé 26-01-2016 12:02
@ Kolbe. Je sais. Ils formaient deux diocèses distincts aussi. Ça n’empêche pas qu'ils étaient nommées canadien-frança is aussi !
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0 #2 Kolbe 26-01-2016 09:56
L'Acadie et le Canada français sont deux entités distinctes. Ce fut 2 colonies différentes, elles n'avaient pas le même gouvernement.
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0 #1 Mariam 25-01-2016 14:50
Définitivement, la meilleure partie! Ton canadien-frança is connait réellement l'essentiel. Félicitations Juriste Curé.
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