lundi, 06 juillet 2020 12:59

Restructuration économique (2eme partie)

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Réjean DeGaules

Rébellions : tremplin à la restructuration économique

En lisant la visite guidée des restructurations économiques de Montréal de la première partie de l’article, vous avez compris que la restructuration économique n’était pas que financière. Ce sont les rapports sociaux au complet qui changent. Les bureaucrates du temps des rébellions pouvaient danser et se voir victorieux à la majorité des batailles militaires et juridiques, leur pouvoir diminua graduellement. Ils se firent remplacer graduellement par des autorités élus, qui avaient des comptes à rendre à la population. La bourgeoisie héréditaire se faisait graduellement remplacer par une bourgeoisie déracinée, éduquée dans des collèges où les élèves devaient vivre à temps plein car trop loin de la maisonnée (comme les jeunes aujourd’hui doivent apprendre via le numérique, loin de l’esprit de leurs ancêtres).   Cette bourgeoisie dite représentative devait faire ses preuves en termes d’obéissance et de compétence. En oubliant pas que parfois la compétence n’est que le résultat d’une obéissance forcenée. Nous verrons dans les lignes qui suivent les différentes réalités qui justifiaient, sur le plan strictement matériel, une restructuration de l’économie auprès de pratiquement tous les secteurs de la société.

 

 

a)      Élites libérales canadienne-française sans avenir

En parallèle de l’attitude arrogante des bureaucrates qui donnaient de bons arguments aux patriotes de se rebeller, les avocats, notaires et médecins francophones ruaient dans les brancards parce qu’ils perdaient des opportunités d’affaire. L’assemblée des représentants élus au suffrage censitaire n’avait une fonction que symbolique et était vouée à demeurer sans impact sur les décisions à prendre. Il serait toutefois erroné de limiter la mentalité des élites libérales (avocat, notaire, médecins) à une pure forme d’affairisme. S’ils n’avaient été que des affairistes, ils auraient été des chouayens, c’est-à-dire, des bureaucrates canadiens-français vendus à l’impérialisme britannique.

Le sentiment d’inutilité existentielle des professions libérales devait être le même que celui des universitaires les moindrement consciencieux qui, aujourd’hui, étudient en sciences sociales ou apprennent le latin, le cinéma ou l’histoire de l’art. C’est du moins de cette manière que Gérard Filteau décrit les membres des fils de la liberté, ce groupe paramilitaire composé d’individus éduqués, lettrés, mais quelque peu hérétique et idéaliste. Ces chômeurs surdiplômés étaient conscients qu’en l’absence de changement au sein de l’administration, ils demeuraient sans avenir. Les plus connus des fils de la liberté sont Chevalier de Lorimier et George-Étienne Cartier. L’un est mort pendu refusant de renoncer à ses principes, l’autre, devint vice-premier ministre du Canada au côté de John A. McDonald.

Pour ce qui est des chefs patriotes, ils paraissent irréprochables dans la mesure du possible. Leurs mœurs son exemplaires à tout égard. Gérard Filteau écrit : « ce n’est pas pour faire triompher cette idéologie suspecte (le contrat sociale, le libéralisme) que les patriotes se sont battus. » Leur idéal en était un de résistance plus que de conquête. Jusqu’à ce que la situation devienne intenable.

Nous avons dit plus tôt qu’un salaire de juge canadien-français était de 24 000 $ et 112 000 $ pour les juges anglais. Les parlementaires eux gagnaient, « lors d’une session exceptionnellement longue,  250 à 300 $ pour 5 mois. Presque tout leur temps était donné à la cause nationale. De brillants avocats comme La Fontaine, Morin et Rodier végétaient dans la pauvreté, alors qu’en se consacrant au barreau, ils eussent pu faire fortune. Papineau ne plaidait jamais, et vivait uniquement de son traitement comme président de la Chambre, et encore prélevait-il près de la moitié de son revenu pour soutenir les journaux patriotes ou les œuvres de charité. […] Les ennemis eux-mêmes n’osaient douter de leur intégrité. »

Pour les chefs patriotes, les résolutions Russell qui précédèrent les rébellions furent inacceptables parce qu’elles ne respectaient pas la constitution de la colonie imposée en 1791. Autrement dit, les chefs patriotes cherchaient davantage à respecter la constitution que les bureaucrates supposément loyaux.

Les patriotes de la base militante, eux, tout en plaçant les paroles de Papineau sur un piédestal, formaient des mouvements de contestation dans le but de répondre aux attaques du Doric Club et de l’Alliance Bretonne. Sauf quelques petits canulars et charivaris, leur attitude en était une défensive. À un point où l’affrontement semblait inévitable, il est à se demander si tout le monde n’avait pas conscience que les attaques du Doric club et de l’alliance bretonne n’étaient que des provocations. À l’opposé, l’exemplarité des chefs patriotes allait jusqu’à un pacifisme un peu naïf. « Louis-Joseph Papineau réprimanda même le général Brown qui avait procédé une enquête discrète à New-York pour savoir s’il n’était pas possible d’acheter des fusils et ainsi armer ses soldats patriotes comme l’était les bureaucrates. »

Contrairement aux marchands anglais, les médecins, avocats, notaires patriotes n’ont pas fait qu’en profiter, bien au contraire. Mais l’essentiel est de comprendre qu’eux aussi avaient avantage à ce qu’il y ait une restructuration de l’économie. À la différence des marchands anglais, les élites canadiennes-françaises croyaient tous sincèrement que cette restructuration économique pouvait profiter à la nation.

b) Monopole de la colonisation aux anglais qui se foutaient du développement de la colonie

« Durant les années 1830, près de 90% des Canadiens étaient encore ruraux, et plus des trois quarts vivaient de l’agriculture, et ainsi, ne souffraient pas trop des effets de la dictature commerciale et industrielle de la minorité. Si les Bureaucrates s’en étaient tenus à cela, la vie matérielle du pays eut été assez peu entravée, mais leur accaparement des terres colonisables prenait les caractères d’une tyrannie insupportable. On avait laissé aux Canadiens qu’un champ d’activité : l’agriculture. Avec l’accroissement étonnant de la population, il eut été nécessaire  d’accroitre le domaine cultivé ou tout au moins d’améliorer les méthodes de culture. Cela  eût nécessité  de la part du gouvernement un plan d’action bien conçu et exécuté avec intelligence. Le parti anglais en était totalement incapable : les marchands ne se souciaient  pas de cet aspect de la vie économique, les fonctionnaires encore moins ; il eût fallut du travail, du dévouement, du désintéressement, toutes qualités qui brillaient surtout par leur absence chez les ronds-de-cuir d’alors. Bien plus, on avait tout intérêt à ne rien faire, car améliorer l’agriculture, favoriser la colonisation, c’était, par le fait même, augmenter la force des Canadiens, et cela allait à l’encontre des vues du parti officiel. […] La nationalité canadienne se voyait réduite à crever de faim et lui était défendu de s’établir dans son propre pays, il lui fallait émigrer d’une contrée au 9/10 vide.

c) Les terres de moins en moins fertiles et aucun moyen pour améliorer la situation

 « Telle terre qui, il y a 100 ans, donnait du 15 pour un en blé, ne produisait plus que du cinq, du quatre pour un et souvent moins. Il arrivait même, dans les mauvaises années, que l’on ne récoltait pas l’équivalent de la semence, et il en était ainsi non seulement pour le blé, mais de toutes les autres cultures. »

« En 1830, le régime seigneurial n’avait plus rien à voir avec ce qu’il avait été. Cet organe de colonisation ne servait plus qu’à la spéculation auquel le canadien-français n’avait pas droit. Le seul débouché véritable pour le Canadien, c’était la colonisation, les terres neuves. Or ce débouché était aux trois quarts fermé par la volonté de la bureaucratie. »

N’est-ce pas les époques de transition, de restructuration économique, qui sont, matériellement, les plus miséreuses ?

d) Surpopulation

« Tout au plus, à chaque mille carré, 48 personnes pouvait vivre de la terre sans tomber en surpopulation dans un milieu dépourvu de toute industrie et de toute  autre occupation que l’agriculture. Il y avait surpopulation dans presque tous les comtés de la province formés à même les seigneuries. […]

Presque tous les comtés de la région de Montréal contenaient une population bien supérieure à celle qu’ils pouvaient raisonnablement porter. Ces comtés furent les plus turbulents en 1837. »

Inutile d’ajouter que la population regardait la restructuration économique d’un œil méfiant mais pas désintéressé.

e) Immigration, dette et maladie

À cette époque, il n’y avait pas de « rencontres personnelles » entre gens de nationalités opposées. En 1831, 51 746 immigrants débarquaient au Bas-Canada. La majorité venait d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. La majorité ne restait pas bien longtemps et se dirigeait vers les États-Unis ou le Haut-Canada. L’accroissement naturel de la population du Bas-Canada de cette époque se situait à 60 000. Donc, rien de bien nuisible au poids démographique du Bas Canada. La submersion migratoire que tentait l’empire colonial eut toutefois ses effets quand le Bas-Canada fut annexé au haut-Canada. La population du Haut-Canada finit par être supérieur à celle du Bas-Canada.

L’intérêt de la dette du Haut-Canada était pratiquement aussi élevé que ses revenues pendant que le Bas-Canada nageait dans les surplus. La dette fut unifiée. Autrement dit, pendant que Haut-Canada moins populeux ne regardait pas à la dépense (ce qui donnait les moyens de rendre attrayant la province), le Bas-Canada se serrait la ceinture pour finalement en faire profiter le Haut-Canada qui devint par la suite, ho comble de l’ironie, plus populeux. Ce n’était toutefois pas l’unique cause de problème en rapport à l’immigration.

« On voyait cette entrée d’étrangers aux pays d’un fort mauvais œil, et on avait beaucoup à reprocher à l’immigration : elle enlevait aux enfants du pays les meilleurs terres, qu’ils considéraient comme leur patrimoine nationale ; elle affaiblissait la position relative du groupe canadien, et, surtout, elle introduisait dans la population des maladies désastreuses et des tares morales évidentes. La grande catastrophe  que fut l’épidémie de choléra asiatique de 1832 et de 1834 fut une cause de soulèvement violent contre le gouvernement et la bureaucratie. Les navires, qui transportaient les immigrants, étaient des foyers constants d’infection. La dysenterie, la petite vérole, la typhoïde, sans compte une demi-douzaine d’autres affections contagieuses, y séjournaient en permanence. Ces navires étaient d’une malpropreté indicible. […] Le gouvernement local ne possédait guère de pouvoir sur la navigation océanique, ce domaine étant du ressort impérial. Néanmoins, dès que la vague d’immigration prit de l’ampleur, la chambre tenta de légiférer sur ce qui regardait le séjour des navires au pays et le débarquement des immigrants. La principale  mesure adoptée était celle de la quarantaine qui pourvoyait à l’inspection médicale des navires et à leur détention à la Grosse Île, si les passagers étaient atteints de maladies infectieuses. En 1830 et en 1831, la Chambre voulut amender la loi de façon à rendre l’inspection plus efficace. Pour plaire aux marchands, que les règlements de la quarantaine auraient pu gêner, le gouverneur et les Conseils (législatifs et exécutifs) refusèrent d’accepter les améliorations. L’Exécutif se souciait bien peu d’exécuter les prescriptions de la loi existante, et les officiers médicaux stationnés à la Grosse Île ne s’acquittaient que fort mal de leurs devoirs. Le favoritisme exerçait son influence là comme ailleurs : un marchand était intéressé à ce qu’une cargaison arrivât rapidement, un pot-de-vin, convainquait facilement les inspecteurs et le vaisseau suspect, ou même infecté, recevait son laissez-passer. Et la catastrophe s’abattit sur le pays en coup de foudre. Depuis 15 ans, le choléra asiatique voyageait lentement vers l’Ouest. Sorti des Indes vers 1817, il avait gagné peu à peu l’Asie occidentale et l’Europe, atteignant le Royaume-Uni au cours de 1831. Dès le début de l’épidémie en Angleterre, le gouvernement impérial avait, parait-il, averti les autorités coloniales de prendre les précautions appropriées afin d’éviter, si possible l’entrée au pays de ce fléau. Rien n’y fit. » Selon Girod (patriote), Jessop et Durham (impérialiste), « les immigrants qu’on envoyait au Bas-Canada étaient des rebus de bas-fonds anglais, inférieurs au moral comme au physique; des ivrognes et des gens aux habitudes dangereuses ». Notons ici que la race n’a rien à voir avec le mépris des gens d’en haut. Voilà le merveilleux contexte qui précéda les rébellions des Bureaucrates… eee,  des patriotes. Il est à se demander parfois qui a tiré le premier. 

f) L’impossible annexion aux États-Unis

« À tort ou à raison, une partie de la population voyait dans l’acquisition du pays voisin une panacée qui réglerait la terrible crise économique qui ébranlait alors les bases mêmes du pays. Le gouvernement et le Congrès, cependant, n’opinaient pas dans ce sens. Dans l’état délabré des finances, ils se souciaient peu d’entamer une guerre longue et extrêmement coûteuse avec l’Angleterre. Ils étaient déjà résolus à s’en tenir au principe de non intervention, pour le moment du moins, laissant à d’autres, au Patriotes, le soin de tirer les marrons du feu, quitte à intervenir au moment propice pour se les approprier si les circonstances le justifiaient. En résumé, les États-Unis traversaient alors une terrible crise financière et ne pouvaient s’engager dans une guerre avec l’Angleterre. Le gouvernement États-uniens était formellement résolu à s’en tenir à la plus stricte neutralité.

« Papineau n’était annexionniste que comme un pis aller, en autant que cette mesure pourrait éviter l’anarchie complète. » C’est simplement l’amitié américaine que l’on souhaitait et non l’annexion.

La seconde vague de rébellions vint du Sud où s’était réfugié plusieurs patriotes dont la tête avait été mise à prix suite à la première rébellion. Plusieurs américains étaient entrés dans les frères chasseurs. Gérard Filteau explique leur adhésion par une passion pour les sociétés secrètes… Quoiqu’il en soit,  « sur 200 000 adeptes, on croyait pouvoir compter sur l’appui d’une grande proportion. Qu’un quart seulement tînt parole et c’en était fini de la domination anglaise sur le Canada. »

Tout le monde voulait la révolution ?

En résumé, tout le monde (même les marchands) sauf les bureaucrates avait intérêt à réaliser une restructuration économique. Les bureaucrates contrôlaient pourtant tout, y compris le plus important, le message auprès du gouverneur. Le seul gouverneur à avoir joint ses protestations à celles des habitants, un certain Prescott (gouverneur de 1796 à 1799, mais qui garda son titre jusqu’à 1807 année de la nomination de son successeur), fut aussitôt congédié, sous les pressions des bureaucrates. Il semble que, par la suite, le message ait passé : ne jamais remettre en question l’autorité tacite des bureaucrates, aussi incompétents et arrogants fussent-ils.

Jusqu’à peu de temps avant les affrontements armés, le comportement des patriotes est somme toute pacifique. Une bonne part de l’anticléricalisme, du changement d’attitude devenue belliqueuse est probablement due à une forme insidieuse de subversion de la part du camp adverse. Les bureaucrates firent circuler toute sorte de potin (aujourd’hui des fausses nouvelles) dans le camp patriote. Des idées révolutionnaires qui, jusque là, circulaient mais sans trop être prises au sérieux, firent leur apparition dans le camp patriote. Les appels au calme du clergé ne firent qu’envenimer les esprits. Les esprits se retournèrent même quelque peu contre le clergé. À la décharge du clergé, quiconque ne vivait pas dans le district de Montréal (par manque de communication) ne pouvait s’apercevoir des injustices qui s’y déroulaient. D’ailleurs, une majeure partie des curés qui fraternisaient avec les rebelles (rebaptisés radicaux) servait dans les environs de Montréal.

La tentative de révolution apparaît être un moyen de rendre possible la restructuration économique. Bien sûr, ce ne sont pas dans ces mots que les différents acteurs expriment le besoin de révolution, mais le besoin de révolution converge, dans le temps, avec le cul de sac économique. Quand l’on a l’estomac dans les talons, il apparaît naturel de courir vers la révolution, aussi désavantageuse soit cette révolution.

Conclusion

D’un point de vu romantique, les patriotes étaient confronter à un choix facile à dénouer : soit ils mourraient sans combattre, soit ils mourraient en combattant.

Dans l’ordre des événements qui permettent de comprendre les enjeux des rébellions des patriotes, on peut citer :

1. Le sabotage de l’administration

2. Une population confinée à la misère

3. L’immigration

4. La maladie

5. Le combat comme seul avenue pour tout le monde

6. Restructuration juridique parce que d’abord économique.

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