jeudi, 20 septembre 2018 09:52

Les Nations-Unies à New York, un choix désormais discutable (2eme partie)

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Gilles Verrier

Voyons plus en détail les arguments qui s'ajoutent pour justifier une rotation, à chaque demi siècle peut-être, de la ville hôte de l'Organisation des nations unies.   

1- Comment furent choisis New York et les États-Unis

Curieusement, la première assemblée générale des Nations Unies s'est tenue à Londres en 1946. On y discuta du pays qui pourrait être l'hôte du siège de la nouvelle organisation. Selon une note de bas de page de la chercheuse Jessica Field, les autres pays membres du Conseil de sécurité (Royaume Uni, France, Chine, URSS) auraient été minimalement envisagés, mais vu «l'urgence», «les destructions de la guerre dans ces pays» et «le rôle prépondérant joué par les États-Unis pour réunir les nations et pousser cette forme de collaboration», la préférence fut donné aux États-Unis. Une parenthèse sur l'urgence s'impose. Comme je l'ai exposé plus haut à partir de faits incontestables, il y eut absence d'urgence. Les États-Unis ne défendirent pas leurs alliés avant d'être eux-mêmes attaqués par le Japon et que l'Allemagne leur déclare la guerre. L'attachement pour un pays, ne peut entacher l'attachement explicite pour les faits bruts.

Ceci dit, on notera que des trois motifs invoqués à Londres pour choisir les États-Unis, deux n'existent plus et le troisième est devenu fort discutable.

Une fois le pays choisi, il fallait choisir la ville. On rapporte que Londres avait été envisagée antérieurement. Or, avec le choix des États-Unis confirmé, la capitale anglaise tomba de fait. Les villes envisagées restaient San Francisco, Boston, Philadelphie et New York. Un don de «dernière minute» de 8,5 millions de dollars de John D. Rockefeller Jr. donna à NY la marge nécessaire pour l'emporter sur les villes concurrentes. L'argent achète tout! On rapporte aussi que Rockefeller donna 17 acres de terrain en bordure de l'East River, je n'ai pu le vérifier mais cela aurait pu être en échange de contrats d'architecture et de conception... Peu importe, ce n'est pas l'essentiel. 

2- Retombées économiques 

Selon des données de 2014, rendues publiques en décembre 2016, les Nations unies, ses agences et son personnel ont généré 3,69 milliards de revenus pour la ville de New York. Ils représentent un apport de 8 000 emplois et amènent à New York 30 000 visiteurs qui participent à des réunions chaque année.

 3- Langues officielles de L'ONU

A l'ONU, il y a six langues officielles :  l’anglais, l’arabe,  le chinois, l’espagnol,  le français et le russe. Comme le siège des Nations Unies se trouve dans une des plus grandes villes anglophones du monde, il est tout à fait naturel que l'usage de l'anglais soit privilégié et tende à l'exclusivité. Donner la possibilité à une autre des langues officielles de l'ONU de se faire valoir, lui donner la possibilité de concurrencer l'anglais dans un forum tel que l'ONU, voilà ce qui s'appellerait donner une chance «aux autres» par la mise en œuvre d'un véritable équilibre linguistique statutaire.

4- Demandes de déplacement du siège des Nations-Unies

Une petite recherche a permis de constater que le sujet de la relocalisation du siège des Nations unies  intéresse. Une question posée sur le site Quora a généré des réponses intéressantes. Ailleurs on a parlé du Qatar comme point de chute éventuel, mais c'est de la part des diplomates et politiques Russes que viennent les prises de position les plus fortes. La Russie s'inquiète des tracasseries que leur impose les services frontaliers ou de sécurité américains et voudrait que l'organisation s'installe dans un pays plus neutre. L'argument porte. Difficile à dire s'il s'agit d'une vraie tendance, mais c'est d'ores et déjà un pays dont on s'exile (Edward Snowden) et un pays à qui l'on demande de radier sa nationalité (Ken O'Keefe), ceci sans compter les nouveaux objecteurs de conscience qui, à tort ou à raison, se croient justifiés de fuir les États-Unis de Donald Trump, reste à savoir combien passeront à l'acte.

D'autre part, les Russes, pas seuls, trouvent la vie chère à New York. Qu'en pensent les pays les plus pauvres de la planète comme le Niger ou l'Éthiopie? Un parlementaire russe s'est exprimé pour que les Nations Unies s'installent au centre de toutes les capitales du monde. D'abord dubitatif, mais après avoir jonglé avec l'idée, je crois avoir compris qu'il propose très objectivement l'endroit qui serait le plus proche en kilomètres cumulés des 183 capitales. Par exemple, si 100 capitales se trouvent à moins de 4 500 km d'une ville candidate, (Alexandrie? Latakié? Limasol?) ce serait déjà pas mal, mais pas du tout le cas de New York, qui serait sous cet angle exclue au premier tour. Dans un article du NY Daily News, à propos d'un livre paru en 2013, on trouve là aussi que la métropole américaine est trop couteuse et on propose la ville de Nairobi au Kenya.

5- Conclusion et un choix pour la francophonie

Les Nations Unies sont le fruit d'un projet discuté par Churchill et Roosevelt en 1941 au large de Terre-Neuve, puis à la Conférence Arcadia, tenue fin 41 et au début de 1942 à Washington. Conférence qui ratifia la Déclaration des nations unies sans majuscules. L'ONU à New York, comme je l'ai montré, et de l'aveu même des décideurs a été un choix improvisé. Si ce choix a pu s'imposer à la fin de la guerre, dans les circonstances décrites plus haut, il ne l'est plus aujourd'hui. Nous sommes en présence de ce qui apparaît de plus en plus comme un vestige de la domination américaine et anglo-saxonne du monde de l'après-guerre, en présence d'un choix qui avait tout du transitoire mais qui s'incruste alors que le monde a changé.

Par ailleurs, il faut admettre que l'ONU à New York a grandement favorisé le rayonnement de la ville et des États-Unis. Cet emplacement a servi à valoriser la langue et la culture anglaises en général. Les décisions prises dans «l'urgence» et l'état de délabrement matériel dans lequel se trouvait le monde en 1945 sont devenues caduques.

Dans ce sens, compte tenu de la faveur que gagne l'idée de multipolarité du monde et du partage des avantages économiques, tel que la rente que procure automatiquement à tout pays le privilège d'être celui où siège les Nations unies, il n'est pas trop tôt, après 72 ans à enrichir New York, de formuler un projet de déplacement ordonné du siège de l'ONU dans un autre pays, d'ici 10, 15 ou 20 ans. Les jeux olympiques se déplacent, sans être aussi mobile, pourquoi pas l'ONU?

J'ai déjà pour ma part proposé une ville du Québec. Or, le Québec est trop proche de New York et il a sur ce coup le désavantage de se trouver en Amérique. Pour le Québec fragile et dépeuplé, accueillir l'ONU serait d'ailleurs un facteur additionnel d'anglicisation et d'assimilation. Honnêtement, l'ONU ne pourrait se relocaliser en Amérique du Nord. Par conséquent, mon choix se porterait volontiers sur un pays francophone d'Afrique, autre qu'une capitale, une ville qui pourrait attirer à son tour des ressources économiques conséquentes et, par effet de proximité, alléger le fardeau économique des délégations africaines à l'ONU. En situant ce phare de la diplomatie mondiale dans le centre démographique de la francophonie, le rayonnement du français dans le monde se trouverait favorisé. Comme on l'a vu, d'autres s'intéressent au sujet et proposent leur choix, le Québec et la francophonie ne doivent pas être en reste.

En terminant, on a certes critiqué l'impuissance des Nations unies à souhait et souvent on le fait avec raison. Effectivement, il faut le reconnaître, la réforme des Nations unies ne concerne pas que la langue et le site de son siège. Beaucoup d'autres propositions de réforme d'inégale valeur circulent depuis un certain temps, mais cela évolue hélas très lentement. Les Nations unies malgré leur imperfection, qui ne sont pas sans rapport avec l'influence américaine de proximité (pour ne pas dire de promiscuité), constituent un forum des pays, le seul, et sauvegardent a minima un droit international fort malmené il est vrai, mais auquel il nous faut tenir et tâcher de renforcer en attendant mieux.


Les Nations-Unies à New York, un choix désormais discutable (1ère partie)

Commentaires   

 
+1 #1 Francis 20-09-2018 14:16
Pour paraphraser Vladimir Illitch Lénine, une fois n'est pas coutume, l'ONU n'est rien d'autre qu'une caverne de brigands.
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