lundi, 26 octobre 2020 15:41

« speak nothing », évolution du discours ouvrier, de Speak white au mépris de l´anti-masque

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Illustration : Michèle Lalonde une jolie canadienne-française révoltée lors de la nuit de la poésie du 27 mars 1970

 

Réjean DeGaules

Michèle Lalonde a claironné Speak white en appuie au FLQ [1]

 

Extrait: « De Saint-Henri à Saint-Domingue

Oui, quelle admirable langue (l'anglais)

Pour embaucher

Donner des ordres

Fixer l’heure de la mort à l’ouvrage

Et de la pause qui rafraîchit

Et ravigote le dollar

Speak white!

Tell us that God is a great big shot

and that we’re paid to trust him

Speak white! »

 

Speak what !

Marcone Micone a répondu en 1989 avec Speak what (si ma mémoire est bonne, cette fois-ci, aucune sympathie pour le FLQ) et disparition du mot « white » trop exclusiviste.

Extrait : « comment parlez-vous

dans vos salons huppés
vous souvenez-vous du vacarme des usines
and of the voice des contremaîtres
you sound like them more and more »

 

En se gardant tout de même une petite gêne sur la leçon de morale :

« délestez-vous des maîtres et du cilice

imposez-nous votre langue
nous vous raconterons
la guerre, la torture et la misère
nous diront notre trépas avec vos mots
pour que vous ne mouriez pas
et vous parlerons
avec notre verbe bâtard
et nos accents fêlés
du Cambodge et du Salvador
du Chili et de la Roumanie
de la Molise et du Péloponnèse
jusqu'à notre dernier regard nous sommes cent peuples venus de loin

pour vous dire que vous n'êtes pas seuls

Réaction savoureuse au poème de Micone de la part de Gaëtan Dostie dans l'Aut'journal du 27 février 2008 : « D’un texte qui est un appel à la liberté, le voilà réduit à un texte « d’intégration ». 

« Que je sois pour Micone atteint de « crétinisme » (vigile.net, 22 février 2008), c’est que dans ce pays, ni Lalonde, ni Miron, ni Ferron, ni Vallières, encore moins Victor-Lévy Beaulieu, aucun militant pour l’indépendance quoi, ne sont « prophètes »! Son arrogance et son mépris, ou peut-être plus concrètement, sa méprise, son ignorance, sont à la hauteur de son monde de « what »! » [2]

 

What !

Aujourd'hui, on pourrait s'approprier de nouveau le thème de la lutte ouvrière et intituler le poème « What ? », voire même « Blank space ». Espace blanc. Parce que ça résume les relations entre les employés qui ne se comprennent pas, les contremaîtres et les cadres qui sont épuisés, les propriétaires  qui sont absents du lieu de travail. Bref, le langage ne sert plus à rien dans un entrepôt, une usine, voire même un commerce. Le patron n'a, à peu près, plus besoin de donner d'ordre. La résistance ouvrière ? Les ouvriers ne se comprennent même plus entre eux. L'un d'entre eux meurt... merde, la prochaine vague d'immigration n'est que dans un mois.  Le problème pour un patron au vu de la volatilité de la situation du marché et de l'emploi c'est d'assurer la continuité, la pérennité constante du travail robotisé.

De un, le masque rend inaudible le message. Le langage corporel est difficile à décrypter. De deux, la tour de Babel langagière rend impossible de comprendre une subtilité du langage. Les « accents fêlés du Cambodge et du Salvador, du Chili et de la Roumanie, de la Molise et du Péloponnèse », forment désormais la norme. Sauf qu'aujourd'hui les provenances des accents sont différentes. De trois, sans subtilité, sans possibilité de livrer un message, il n'y a plus de plaisir à l'utiliser. Raison pour laquelle il serait bien étonnant que l'ouvrier se serve de cette langue française utilisée au travail dans sa vie privée.

 

La navrante québécitude de 2020

Dans l'Aut'journal qui se veut défenseur des travailleurs, un certain Morin-Racine traite de « tata » les « anti-masques » qui portent le drapeau patriote dans les manifestations.

Voici un extrait : « Il pue tellement la « libârter » des causes futiles de la droite conspirationniste qu’on en vient même à le comparer au drapeau des États Confédérés ![lien] Certes, cette comparaison a été faite par une journaliste montréalo-anglophone un peu mêlée, mais ce commentaire erroné en dit long sur la perception de plusieurs à propos de ce drapeau dont la symbolique est prisonnière de la droite complotiste québécoise. »

Juste donner de la crédibilité à la perception d'une montréalo-anglophone un peu mêlée est assez pour enlever toute crédibilité à l'article. En même temps, c'est lourd de sens. L'anglo-montréalaise a beau ne pas savoir de quoi elle parle, le petit québécois se sent obliger de vivre à travers le regard de cette dernière. Comme quoi, rien n'a changé depuis La nuit de la poésie. Pourtant, comme nombre d'anglo-montréalais, elle ne connaît pas le Québec. Le Canada français est une notion abstraite. On s'en fout de ce qu'elle pense. Son discours ne veut rien dire d'autre qu'ils ne connaissent rien au Canada français. Ne manquait plus qu'une accusation de fascisme (qui aurait été très excitante pour moi) à l'endroit des anti-masques pour atteindre la caricature.

Je suis de ceux qui trouvaient que ça ne volait pas haut dans les manifestations. Mais pour quiconque connaît la réalité du travailleur en ce moment, je trouve que ce qui vole encore plus bas c'est le discours ouvertement révolutionnaire de Morin-Racine. Il dit :

«le drapeau patriote pourrait et, selon moi, devrait être le symbole d’un Québec en changement, d’un Québec qui marche avec un pas assuré vers la décolonisation (de lui-même et des peuples autochtones de son territoire), d’un Québec qui mène un combat acharné pour la sauvegarde de son environnement et l’avenir de la planète, d’un Québec qui ne fait pas seulement qu’accepter, mais qui célèbre sa diversité culturelle, d’un Québec qui fait un pied de nez au système économique crasse dans lequel on évolue, d’un Québec Libre pour de vrai.»

Pour reprendre les mots de Marco Micone : « you sound like them more and more Mr. Morin -Racine ». Les architectes du mondialisme qui se servent des Morin-Racine de ce monde pour taper sur le « tata » d'ouvrier qui porte son drapeau patriote maladroitement, Pierre Hillard, spécialiste du mondialisme, ne les a pas inventés. Nul besoin de rappeler que tout comme le message intégrationniste de Micone, celui de Morin-Racine est un sacrilège pour la mémoire des prisonniers politiques d'Octobre 70 et leur lutte. Qu'on soit d'accord ou pas avec cette lutte.

 

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